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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

mais ! Il est souple ; il s’adapte. Il est à la tête d’un peuple qu’il voudrait assouplir. L’espoir d’Hitler, c’est de déprussianiser l’Allemagne ! »

En le disant, ce Bavarois penche la tête, attendri, sans soupçonner que l’Allemagne pourrait prussianiser son chef. J’ai osé lui rappeler le 30 juin 1936. Là, il a repris de la force :

— Vous a-t-on dit ce que nous avions subi, avant de gagner le pouvoir ? La prison et le reste !… Si ensuite, nous avons été durs, il le fallait. Je suis dur aussi avec ma petite fille… pour bien l’élever. La politique, comme l’éducation, exige qu’on soit sévère.

J’ai repris doucement :

— La sévérité n’explique pas le meurtre de la Générale Schleicher.

M. Rimmermann a paru contrit ; et joignant les talons :

— C’est un accident !

Cette conversation, je m’en souviens, eut lieu dans un musée de Munich. Musée rempli de tableaux conventionnels. Mais, à ce moment, nous sommes passés devant un portrait de Gœthe. Ah ! quelle noblesse ! Ce nez droit, ce regard d’âme, cette domination par l’intelligence ! Je n’ai pas osé dire : « Monsieur Gœthe, vous êtes un homme ! » J’ai dit simplement : « Autre époque ! » Je ne me trompais pas. Les visiteurs, Allemands roses et timides, baissaient les yeux. La vulgarité