Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/165

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
153
ALLEMAGNE

ment ne vient-il pas de l’Autriche ? Quelle folie si l’Autriche en était exclue ! Ce qui vous effraie, c’est notre agrandissement ! Avez-vous calculé que l’Autriche ce n’est que six millions d’habitants ? Londres… pas plus. Nous prenons Londres ! Cela vaut-il de s’inquiéter ?

Il y avait chez M. Rimmermann, quand il se plaisait à ces considérations, une sorte de roublardise si naturelle qu’elle touchait à la candeur : en Allemand fort, dont la force est voyante, il tenait alors à me rassurer. Mais d’autre part, il passait ses journées à me montrer comme l’Allemagne est forte. Force du travail, force par la joie, la force de l’ordre, l’emploi de la force ! Le mot force, l’adjectif fort étaient la conclusion de toutes nos études, de toutes nos visites.

Kraft ! Kraft ! Kraft !… Curieuse langue ! Je croyais entendre un bruit de mâchoires et d’appétit ! Comme je ne cache pas mes impressions, M. Rimmermann et ses amis s’apercevaient à mon visage, quand la mesure était comble. J’avais brusquement la sensation de leur faire envie ; ils avaient tout à coup le sentiment de me dévorer. Alors, ils devenaient souriants, empressés, bonasses.

On m’emmenait voir les camps de travail, on me persuadait que c’étaient des bergeries. On me faisait visiter la jeunesse hitlérienne, en