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CHRONIQUE D’UN TEMPS TROUBLÉ

Et il m’a laissé discrètement dans son bureau.

Chère Hélène, comme j’étais ému devant cet appareil dont je dis toujours du mal : j’allais entendre Thierry ! Je désirais tant l’entendre bien. De la poste, on m’avait annoncé : « Dix minutes ! » Au bout de quatre, on sonna, en ordonnant : « Parlez ! » Je fis « Allo… Allo… c’est toi, Thierry ?… » Ce ne pouvait pas être lui. Il fallait qu’on le fît venir. J’entendis, dans un grésillement, une voix de femme qui criait : « On va vous l’appeler : il apprend ses leçons ! » J’avais peur qu’on ne coupe. Je répétais : « Allo !… ne coupez pas !… » et je me représentais le fil à travers la France. Melun… Dijon… Bourg… Aix-les-Bains. Le bureau de M. Seigneur était éclairé d’une lampe qui me gênait. Est-ce que la France, la nuit, est éclairée ? J’éteignis, et dans l’obscurité je me figurai la Savoie sous le ciel noir. Le fil argenté courait le long des routes, traversait des prés, des torrents, arrivait à la maison où était Thierry.

— Allo… c’est toi, papa ?

Oh !… j’entendais la petite voix, comme si l’enfant me touchait ; il me sembla qu’il allait m’embrasser. Je balbutiai :

— Oui, Thierry, oui, mon petit, c’est moi ! Mais c’est miraculeux, ce que je t’entends bien. M’entends-tu bien aussi ?