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LE PETIT GARÇON ENCHANTÉ

de Thierry, je crois que je l’aimais moins que lui !… Peut-être qu’en vieillissant… on comprend mieux. Quel trésor, monsieur !

Elle portait une vieille robe de taffetas, un collier de pierres multicolores, un bracelet pareil, et tout cela, tandis qu’elle parlait, faisait un bruit ému. Son cœur allant plus vite que ses paroles, on avait l’impression qu’elle ne savait où donner de la tête. Elle parlait d’elle, en voulant parler de Thierry ; elle mêlait les histoires.

Elle vivait dans une vérandah, devant des verres de couleur, enchâssés dans du bois de sapin : la fameuse fenêtre à laquelle, en se couchant, le soleil rendait hommage ! Elle avait décoré ses murs de toiles de Jouy, emportées sous sa robe, en fuyant la Révolution.

— Ah ! Thierry les regarde, monsieur, durant des heures ! On y voyait des hommes et des bêtes dans les cinq parties du monde, sous d’immenses palmiers, au bord de lacs, dans des montagnes. Pour moi elle se mit à sortir des photographies jaunies, à ouvrir des coffrets, puis une malle, à déficeler des paquets de journaux. Elle montrait l’Impératrice, qui l’honorait de son amitié, le portrait de son père, gouverneur de Varsovie. Mais… j’étais surtout désireux de savoir ce que faisait mon fils.