Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/32

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au-dessus des Tuileries. Lorsque le matin est rose, le Louvre me fait l’effet d’un palais italien, et vous ne pouvez savoir le plaisir qui monte du jardin, de ses bassins, de ses dieux, de ses déesses, de son ordre. J’aperçois le dôme des Invalides au-dessus de la gare d’Orsay… que j’oublie de voir. Je paye par jour 100 francs de pension. Est-ce trop ? J’ai peur que ce ne soit pas assez. Si vous voyiez comme c’est beau, le soir, vers la Concorde !

Je ne sais pas ce qui m’a pris l’autre nuit, pourquoi j’ai joué au penseur et cru résoudre une série de problèmes. Je n’ai pas messe mon cerveau ; c’est lui qui m’a mené. Mais lui-même, qu’est-ce qui l’agitait ? Mon dîner ? Ou un grand-père qui se réveillait en moi ? Comme on se trompe sur son cas ! Renier Paris ? C’est du dépit amoureux ! Et où saurais-je vivre ailleurs qu’en France, entre la Méditerranée et l’Océan, parmi cette race latine et celte, travaillée comme moi par tant de contrastes ?

Ma chambre est claire, et je l’espère spirituelle, grâce à trois objets, une peinture, un buste en bronze, une petite figurine en plâtre peint : tout ce que j’ai gardé d’une vie dont je ne veux plus me souvenir.

La peinture est un chef-d’œuvre. Dans les gris, les bruns, les beiges, avec délicatesse et sobriété, c’est le portrait d’un petit singe