Aller au contenu

Page:René Benjamin - Chronique d’un temps troublé, 1938.djvu/63

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.
4 juin 1937.

Ma chère Hélène, comme il faut du temps pour comprendre les êtres ! Il est vrai que vous vous exprimez peu… Mais j’ai cru d’abord que vous partiez pour l’Orient afin de retrouver une nature à l’abri des hommes sacrilèges ; vous aimiez, me semblait-il, les paysages intacts. Et je songe maintenant que votre raison profonde est peut-être de sauver le goût que vous avez si vif d’une vie personnelle. Ah ! Vous avez vu juste ! L’Occident bientôt ne le permettra plus… qu’à certains êtres, qui, quoi qu’on fasse, resteront toujours en marge : artistes, moines, inventeurs, et les fous !… Partout, on installe des modes de vie en masse. C’est l’œuvre du prolétariat et de ses intellectuels.

Jusqu’ici, en France du moins, quand un salarié se sentait une pointe d’esprit, il avait l’ambition de sortir du troupeau, pour mieux vivre à part. Maintenant, l’ambition fait place à l’envie, et croupissant dans l’esclavage, il prétend par représailles l’imposer au reste des hommes. C’est la situation retournée.