Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/293

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— Envoyez-moi ceux qui sont remis… pour qu’ils se remettent.

Il avait les cheveux pommadés, de petits favoris courts, le teint rose, la voix aigrelette. Il était propret et comique. Et il s’amusait, ce marquis, à bien nourrir et à gâter quelques soldats du peuple, dont la bonne humeur et l’argot le faisaient rire.

Mais souvent, les soldats riaient encore plus de lui. Quand il était rentré dans ses appartements, ils s’exclamaient entre eux :

— L’est crevant, dis, l’vieux frère !

Et Gaspard ajoutait :

— Quel acrobate !

Gaspard, à M…, avait divisé sa vie.

À l’heure du lit, à l’heure des repas, il était occupé chez le marquis à refaire sa santé, et il la refaisait bien.

Puis, il sautait sur ses béquilles, et grâce à elles, de son seul pied, il traversait d’un trait la petite ville jusqu’au Café des Hirondelles, au coin de la place d’Armes.

Là, il s’installait, buvant et parlant, et il commandait, il conseillait, il recevait, il trônait, il régnait. Ce Parisien avait conquis cette province.

Au début, on s’était apitoyé sur sa mutilation ; mais il paraissait si joyeux, il montrait un tel oubli des horreurs de la guerre, disant : « Un bras, ça m’aurait embêté, pasque les mains, c’est bath