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Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/315

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secoué par les détails horribles de sa mort et de la bataille, s’était dit après : « J’peux pas… J’peux pas y raconter tout ça ! » Mais maintenant, c’était elle qui mendiait des détails. Elle disait savoir d’un sergent que Gaspard, Gaspard seul, s’était occupé de son « cher mari ». Quand, où, comment pourrait-elle le voir ? D’avance elle le remerciait et elle lui donnait les deux mains.

Ah ! comme il fut ému par cette simple lettre ! Il la relut dix fois ; il en admirait l’écriture fine ; il disait, la passant à Bibiche et à sa mère :

— Pauv’e tite femme : elle doit êt’e mignonne quand même !… Ça, Burette, il l’disait… il l’disait chaque fois qu’il en causait… Alors, y a pas, il faut que j’y aille… Mais comment y raconter ça ?

Il se revoyait sous un feu terrible, portant son ami qui gémissait. Il le voyait se roulant à terre ; il le voyait tout blême des sueurs de l’agonie.

— Ça fait rien, dit-il encore, il faut que j’y aille !

Il avait aussi à voir un M. Farinet, professeur à la Faculté des Lettres, à l’adresse de qui il traînait une lettre du malheureux Mousse depuis trois mois déjà.

Bref il devait, lui sorti de la tourmente, s’acquitter d’une dernière dette envers la mémoire de deux camarades de combat, à qui il ne pensait