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Page:René Benjamin - Gaspard, 1915.djvu/79

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GASPARD

ments du canon recommencèrent, précipités. Les hommes étaient abrutis de fatigue, mais ils sentaient leur poitrine un peu angoissée. Cette fois, c’était bien la bataille qui s’annonçait pour eux.

— On traversa une plaine de blé, on longea des bois, on côtoya tout un village qui parut vide et mort, et on aperçut, à un tournant, la route qui, lentement, tout droit, grimpait vers une crête pointue. Qu’est-ce que le régiment allait voir de là-haut ?

Grand Dieu ! il vit… ah ! les cœurs se serrèrent et presque s’arrêtèrent, et il monta d’abord de ce troupeau d’hommes comme une rumeur d’effarement et de désolation ; car brusquement, le régiment venait d’avoir la première vision poignante de la guerre : l’horizon tout en flammes.

Les Allemands étaient là. Cette ligne de feu, c’était eux. Ils faisaient flamber les villages.

L’âme de Gaspard sauta. Il décida de rester Français.

Puis, en avançant toujours, tous les yeux rivés sur cet immense spectacle d’horreur, on commença de croiser la file interminable et lugubre de tous ceux qui se sauvaient, bêtes et gens : femmes, enfants, vieillards, entassés dans de mauvaises charrettes, pressant du fouet de vieux chevaux dont l’armée n’avait pas voulu.

Dans l’affreux désarroi du départ, à cette minute