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GASPARD

— On a tout laissé, pardi… et v’là qu’ ça crève de faim !

Il ne fit ni une ni deux. Il voulait en avoir le cœur net. Seul, dans l’ombre, il s’en alla voir « de bicoque en bicoque pourquoi qu’ ça gueulait. »

Et alors, il fut vraiment beau cet homme du peuple de Paris.

Lui qui n’avait jamais préparé que des escargots, — à la lueur de chandelles qu’il dénichait ici ou là, il se mit en devoir de faire manger ces « bêtes françaises » abandonnées.

Il entrait à tâtons dans les étables. Il sentait tout de suite si elles étaient chaudes d’un souffle vivant. Il frottait son briquet d’amadou, dont la petite lueur lui suffisait pour apercevoir de gros yeux noirs suppliants et des mufles avides. Il disait tout de suite : « Voilà… chialez pus… on s’occupe de vous. » — Il allumait un bout de chandelle qui lui brûlait les doigts, il le calait sur un bas-flanc, et, marchant dans les bouses, jurant, donnant du pied dans des seaux, il essayait de leur « dégoter d’ la boustifaille. » — S’il n’en trouvait pas, il allait en rechercher à la maison voisine, et il expliquait aux bestiaux :

« Faudra l’ dire au patron, quand qu’ c’est qu’il r’viendra. » Puis, avec son ton de bonhomie bourrue, il attrapait chacune des bêtes, donnait du fourrage aux veaux, disant : « Les cochons !…