Page:René Crevel La Mort Difficile 1926 Simon Kra Editeur.djvu/29

La bibliothèque libre.
Cette page n’a pas encore été corrigée

la nature de la personne en question, car, si je ne suis pas encore fou, il faut bien dire que la fille du président Dufour, mon épouse, n’a jamais manqué de faire tout ce qu’il fallait pour que je le devinsse. Dans le plus innocent plaisir, elle découvrait un crime : Pourquoi cet Amer-Picon, avant le dîner ? Si tu continues je cacherai cette bouteille comme j’ai déjà caché la bouteille de fine. On t’a vu sortir d’une maison à gros numéro. Tu n’as pas honte ! Un colonel de la troisième République. Noblesse oblige ! Et elle n’arrêtait pas de la journée.

Mme Dumont — qui, entre parenthèses, se fait appeler Mme Dumont-Dufour comme si elle avait honte de porter le nom d’un des plus grands inventeurs du XXe siècle — Mme Dumont n’est d’ailleurs point la seule à qui je suis bien forcé d’en vouloir. Je n’ai pas moins de griefs contre la République.

Tant pis si cette lettre tombe entre les mains de ma femme, du ministre, des amiraux ou des francs-maçons. J’affirme que la République, avec son corps de pierre, ses seins d’acier et son tablier de bonne à tout faire, est un monstre, un monstre qui va pieds nus dans les terres labourées.

Et certes, Madame, elle ne saurait porter ces jolis souliers dont les talons firent la gloire du règne de votre Roi, ces souliers à talons Louis XV avec lesquels une femme de devoir, du genre de Mme Dumont-Dufour, n’a jamais pu marcher.