Page:René Guénon - Introduction générale à l'étude des doctrines hindoues.djvu/94

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spiritualisme, le matérialisme, qui portent précisément le caractère systématique de la pensée philosophique occidentale ; et cela est d’autant plus important à noter ici qu’une des manies communes des orientalistes est de vouloir à toute force faire rentrer la pensée orientale dans ces cadres étroits qui ne sont point faits pour elle ; nous aurons à signaler spécialement plus tard l’abus qui est ainsi fait de ces vaines étiquettes, ou tout au moins de quelques-unes d’entre elles. Nous ne voulons pour le moment insister que sur un point : c’est que la querelle du spiritualisme et du matérialisme, autour de laquelle tourne presque toute la pensée philosophique depuis Descartes, n’intéresse en rien la métaphysique pure ; c’est là, du reste, un exemple de ces questions qui n’ont qu’un temps, auxquelles nous faisions allusion tout à l’heure. En effet, la dualité « espritmatière » n’avait jamais été posée comme absolue et irréductible antérieurement à la conception cartésienne ; les anciens, les Grecs notamment, n’avaient pas même la notion de « matière » au sens moderne de ce mot, pas plus que ne l’ont encore actuellement la plupart des Orientaux : en sanskrit, il n’existe aucun mot qui réponde à cette notion, même de très loin. La conception d’une dualité de ce genre a pour unique mérite de représenter assez bien l’apparence extérieure des choses ; mais, précisément parce qu’elle s’en tient aux apparences, elle est toute superficielle, et, se plaçant à un point de vue spécial, purement individuel, elle devient négative de toute métaphysique dès qu’on veut lui attribuer une valeur absolue en affirmant l’irréductibilité de ses deux termes, affirmation en laquelle réside le dualisme proprement dit. D’ailleurs, il ne faut voir dans cette opposition de l’esprit et de la matière qu’un cas très particulier du dualisme, car les deux termes de l’opposition pourraient être tout autres que ces deux principes relatifs, et il serait également possible d’envisager de la même façon, suivant d’autres déterminations plus ou moins spéciales, une indéfmité de couples de termes corrélatifs différents de celui-là. D’une façon tout à fait générale, le dualisme a pour caractère distinctif de s’arrêter à une opposition entre deux termes plus ou moins particuliers, opposition qui, sans doute, existe bien réellement à un certain point de vue, et c’est là la part de vérité que renferme le dualisme ; mais, en déclarant cette opposition irréductible et absolue, au lieu qu’elle est toute relative et contingente, il s’interdit d’aller au delà des deux termes qu’il a posés l’un en face de l’autre, et c’est ainsi qu’il se trouve limité par ce qui fait son caractère de système. Si l’on n’accepte pas cette limitation, et si l’on veut résoudre l’opposition à laquelle le dualisme s’en tient obstinément, il pourra se présenter différentes solutions ; et, tout d’abord, nous en trouvons en effet deux dans les systèmes philosophiques que l’on peut ranger sous la commune dénomination de