Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/109

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approprié, un appui suffisant pour s’élever au-dessus de la vaine multitude des opinions individuelles.

Il nous reste à dire quelques mots de ce que nous pourrions appeler la portée pratique d’une telle étude ; cette portée, nous pourrions la négliger ou nous en désintéresser si nous nous étions tenu dans la doctrine métaphysique pure, par rapport à laquelle toute application n’est que contingente et accidentelle ; mais, ici, c’est précisément des applications qu’il s’agit. Celles-ci ont d’ailleurs, en dehors de tout point de vue pratique, une double raison d’être : elles sont les conséquences légitimes des principes, le développement normal d’une doctrine qui, étant une et universelle, doit embrasser tous les ordres de réalité sans exception ; et, en même temps, elles sont aussi, pour certains tout au moins, un moyen préparatoire pour s’élever à une connaissance supérieure, ainsi que nous l’avons expliqué à propos de la « science sacrée ». Mais, en outre, il n’est pas interdit, quand on est dans le domaine des applications, de les considérer aussi en elles-mêmes et dans leur valeur propre, pourvu qu’on ne soit jamais amené par là à perdre de vue leur rattachement aux principes ; ce danger est très réel, puisque c’est de là que résulte la dégénérescence qui a donné naissance à la « science profane », mais il n’existe pas pour ceux qui savent que tout dérive et dépend entièrement de la pure intellectualité, et que ce qui n’en procède pas consciemment ne peut être qu’illusoire. Comme nous l’avons déjà répété bien souvent, tout doit commencer par la connaissance ; et ce qui semble être le plus éloigné de l’ordre pratique se trouve être pourtant le plus efficace dans cet ordre même, car c’est ce sans quoi, là aussi bien que partout ailleurs, il est impossible de rien accomplir qui soit réellement valable, qui soit autre chose qu’une agitation vaine et superficielle. C’est pourquoi, pour revenir plus spécialement à la question qui nous occupe présentement, nous pouvons dire que, si tous les hommes comprenaient ce qu’est vraiment le monde moderne, celui-ci cesserait aussitôt d’exister, car son existence, comme celle de l’ignorance et de tout ce qui est limitation, est purement négative : il n’est que par la négation de la vérité traditionnelle et supra-humaine. Ce changement se produirait ainsi sans aucune catastrophe, ce qui semble à peu près impossible par toute autre voie ; avons-nous donc tort si nous affirmons qu’une telle connaissance est susceptible de conséquences pratiques véritablement incalculables ? Mais, d’un autre côté, il paraît malheureusement bien difficile d’admettre que tous