Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/11

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Mais, demandera-t-on sans doute, pourquoi le développement cyclique doit-il s’accomplir ainsi, dans un sens descendant, en allant du supérieur à l’inférieur, ce qui, comme on le remarquera sans peine, est la négation même de l’idée de « progrès » telle que les modernes l’entendent ? C’est que le développement de toute manifestation implique nécessairement un éloignement de plus en plus grand du principe dont elle procède ; partant du point le plus haut, elle tend forcément vers le bas, et, comme les corps pesants, elle y tend avec une vitesse sans cesse croissante, jusqu’à ce qu’elle rencontre enfin un point d’arrêt. Cette chute pourrait être caractérisée comme une matérialisation progressive, car l’expression du principe est pure spiritualité ; nous disons l’expression, et non le principe même, car celui-ci ne peut être désigné par aucun des termes qui semblent indiquer une opposition quelconque, étant au-delà de toutes les oppositions. D’ailleurs, des mots comme ceux d’« esprit » et de « matière », que nous empruntons ici pour plus de commodité au langage occidental, n’ont guère pour nous qu’une valeur symbolique ; ils ne peuvent, en tout cas, convenir vraiment à ce dont il s’agit qu’à la condition d’en écarter les interprétations spéciales qu’en donne la philosophie moderne, dont « spiritualisme » et « matérialisme » ne sont, à nos yeux, que deux formes complémentaires qui s’impliquent l’une l’autre et qui sont pareillement négligeables pour qui veut s’élever au-dessus de ces points de vue contingents. Mais d’ailleurs ce n’est pas de métaphysique pure que nous nous proposons de traiter ici, et c’est pourquoi, sans jamais perdre de vue les principes essentiels, nous pouvons, tout en prenant les précautions indispensables pour éviter toute équivoque, nous permettre l’usage de termes qui, bien qu’inadéquats, paraissent susceptibles de rendre les choses plus facilement compréhensibles, dans la mesure où cela peut se faire sans toutefois les dénaturer.

Ce que nous venons de dire du développement de la manifestation présente une vue qui, pour être exacte dans l’ensemble, est cependant trop simplifiée et schématique, en ce qu’elle peut faire penser que ce développement s’effectue en ligne droite, selon un sens unique et sans oscillations d’aucune sorte ; la réalité est bien autrement complexe. En effet, il y a lieu d’envisager en toutes choses, comme nous l’indiquions déjà précédemment, deux tendances opposées, l’une descendante et l’autre ascendante, ou, si l’on veut se servir d’un autre mode de représentation,