Page:René Guénon - La Crise du monde moderne.djvu/28

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autre chose qu’il s’agit. Que des éléments celtiques très reconnaissables et encore utilisables soient parvenus jusqu’à nous par divers intermédiaires, cela est vrai ; mais ces éléments sont très loin de représenter l’intégralité d’une tradition, et, chose surprenante, celle-ci, dans les pays mêmes où elle a vécu jadis, est maintenant plus complètement ignorée encore que celles de beaucoup de civilisations qui furent toujours étrangères à ces mêmes pays ; n’y a-t-il pas là quelque chose qui devrait donner à réfléchir, tout au moins à ceux qui ne sont pas entièrement dominés par une idée préconçue ? Nous dirons plus : dans tous les cas comme celui-là, où l’on a affaire aux vestiges laissés par des civilisations disparues, il n’est possible de les comprendre vraiment que par comparaison avec ce qu’il y a de similaire dans les civilisations traditionnelles qui sont encore vivantes ; et l’on peut en dire autant pour le moyen âge lui-même, où se rencontrent tant de choses dont la signification est perdue pour les Occidentaux modernes. Cette prise de contact avec les traditions dont l’esprit subsiste toujours est même le seul moyen de revivifier ce qui est encore susceptible de l’être ; et c’est là, comme nous l’avons déjà indiqué bien souvent, un des plus grands services que l’Orient puisse rendre à l’Occident. Nous ne nions pas la survivance d’un certain « esprit celtique », qui peut encore se manifester sous des formes diverses, comme il l’a fait déjà à différentes époques ; mais, quand on vient nous assurer qu’il existe toujours des centres spirituels conservant intégralement la tradition druidique, nous attendons qu’on nous en fournisse la preuve, et, jusqu’à nouvel ordre, cela nous paraît bien douteux, sinon tout à fait invraisemblable.

La vérité est que les éléments celtiques subsistants ont été pour la plupart, au moyen âge, assimilés par le Christianisme ; la légende du « Saint Graal », avec tout ce qui s’y rattache, est, à cet égard, un exemple particulièrement probant et significatif. Nous pensons d’ailleurs qu’une tradition occidentale, si elle parvenait à se reconstituer, prendrait forcément une forme extérieure religieuse, au sens le plus strict de ce mot, et que cette forme ne pourrait être que chrétienne, car, d’une part, les autres formes possibles sont depuis trop longtemps étrangères à la mentalité occidentale, et, d’autre part, c’est dans le Christianisme seul, disons plus précisément encore dans le Catholicisme, que se trouvent, en Occident, les restes d’esprit traditionnel qui survivent encore. Toute tentative « traditionaliste » qui ne tient pas compte de ce fait est inévitablement vouée à l’insuccès,