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Chapitre V

L’individualisme


Ce que nous entendons par « individualisme », c’est la négation de tout principe supérieur à l’individualité, et, par suite, la réduction de la civilisation, dans tous les domaines, aux seuls éléments purement humains ; c’est donc, au fond, la même chose que ce qui a été désigné à l’époque de la Renaissance sous le nom d’« humanisme », comme nous l’avons dit plus haut, et c’est aussi ce qui caractérise proprement ce que nous appelions tout à l’heure le « point de vue profane ». Tout cela, en somme, n’est qu’une seule et même chose sous des désignations diverses ; et nous avons dit encore que cet esprit « profane » se confond avec l’esprit anti-traditionnel, en lequel se résument toutes les tendances spécifiquement modernes. Ce n’est pas, sans doute, que cet esprit soit entièrement nouveau ; il a eu déjà, à d’autres époques, des manifestations plus ou moins accentuées, mais toujours limitées et aberrantes, et qui ne s’étaient jamais étendues à tout l’ensemble d’une civilisation comme elles l’ont fait en Occident au cours de ces derniers siècles. Ce qui ne s’était jamais vu jusqu’ici, c’est une civilisation édifiée tout entière sur quelque chose de purement négatif, sur ce qu’on pourrait appeler une absence de principe ; c’est là, précisément, ce qui donne au monde moderne son caractère anormal, ce qui en fait une sorte de monstruosité, explicable seulement si on le considère comme correspondant à la fin d’une période cyclique, suivant ce que nous avons expliqué tout d’abord. C’est donc bien l’individualisme, tel que nous