Page:René de Pont-Jest - Divorcée.djvu/10

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Le jour même de son mariage, le comte Barineff était parti pour l’étranger avec sa femme et la fille de celle-ci, devenue sa fille à lui, et on les avait oubliés tous deux, jusqu’au moment où, veuve sérieusement — car M. Froment n’avait peut-être jamais existé — la comtesse était revenue en Russie pour recueillir la succession de son époux, succession fort ébréchée par les folies de tous genres du défunt, mais qui allait cependant lui permettre encore de tenir un rang fort honorable.

En rentrant à Saint-Pétersbourg, après dix ans d’absence, l’ex-jeune première du théâtre Michel avait retrouvé bon nombre de ses adorateurs d’autrefois ; et comme elle était toujours belle et que sa fille, âgée de quatorze ans, était fort jolie, son salon fut bientôt le rendez-vous de ce monde élégant et frivole qui ne s’inquiète pas outre mesure du passé de la maîtresse d’une maison où il est bien accueilli.

Du reste, soit que l’âge de la sagesse fût venu pour elle, soit qu’elle cachât admirablement son jeu, la comtesse Barineff ne donnait en rien prise à la médisance. Sa conduite, du moins en apparence, était absolument correcte.

Chez elle, on faisait d’excellente musique, grâce aux artistes de tous pays qu’elle attirait volontiers et recevait d’une façon charmante ; on dansait de temps en temps, et on causait surtout avec beaucoup d’esprit de la France et de son mouvement littéraire. On n’y était certes pas collet monté et la chronique légère n’en était pas bannie, mais tout s’y disait et s’y passait sur le ton du meilleur monde.

On le conçoit, cette situation si habilement conquise par l’adroite veuve avait réveillé la flamme de ses anciens admirateurs ; aussi bientôt fut-elle très sérieusement assiégée et à même de donner un successeur à son premier mari russe, mais les déclarations les plus brûlantes la trouvèrent de glace.

À son ami le plus intime, le général Podoï, qui jadis avait voulu l’épouser, elle avait répondu, un jour qu’il la pressait de se décider :

— Mon cher général, j’ignore si je me remarierai ja-