Page:René de Pont-Jest - Divorcée.djvu/142

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venu lui demander comment elle avait passé la nuit, Véra avait eu un premier moment de surprise, et son maître avait dû insister pour lui faire prendre place à table auprès de lui, au buffet de Kœnigsberg ; toutefois, attribuant cet honneur qui lui était fait aux nécessités du voyage, elle n’en avait éprouvé qu’une certaine satisfaction d’amour-propre, sans attacher à ce petit incident aucune autre importance.

Il en fut ainsi tout le long de la route, et la jolie Russe dut à sa naïveté même d’arriver à Paris toute neuve pour les étonnements qui l’y attendaient et se succédèrent de jour en jour, pour n’éveiller d’abord que son imagination, jusqu’au moment où elle fut frappée si profondément au cœur.

Combien toutes ces choses étaient maintenant loin d’elle, si loin qu’elle se demandait si elle ne les avait pas rêvées.

Et Véra fermait les yeux pour s’efforcer de rêver de nouveau ! Elle se rappelait alors les moindre incidents de son séjour à Paris ; sa stupéfaction quand, le lendemain de son arrivée, Yvan était venu la chercher pour déjeuner avec leur maître ; ses émotions successives lorsque celui-ci, se faisant chaque jour plus prévenant, plus aimable, l’avait associée chaque jour davantage à son existence, jusqu’à cette heure, dont le souvenir la faisait frissonner, où la fatalité l’avait jetée dans ses bras.

Si la fille du fermier d’Elva était sortie vierge de cette étreinte, cette seconde d’abandon avait suffi néanmoins pour la créer femme, pour lui faire comprendre qu’elle aimait, pour faire naître en elle le désir ardent d’être aimée.

Quel serait le sort de cet amour ? Elle osait à peine y songer. Comprenant bien maintenant le rôle qu’elle avait joué, elle se demandait avec terreur si le prince ne voyait pas seulement en elle l’instrument aveugle dont il s’était servi, et si, une fois de retour à Pampeln, elle n’allait pas être séparée de lui à jamais.

Cette crainte lui causait une atroce douleur, mais si elle la repoussait comme exprimant une chose impos-