Page:René de Pont-Jest - Divorcée.djvu/165

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— Quelle grande cantatrice elle aurait été, se disait-il alors, si sa sotte mère n’avait pas fait d’elle une princesse ! Ah ! bon sang ne peut mentir ! C’est bien ma fille à moi !

Logiquement, il lui pardonnait d’avoir trompé son premier mari et trouvait qu’elle avait eu raison d’épouser Paul Meyrin. Son amour paternel reprochait seulement à son jeune ami de ne pas être assez à genoux devant cette adorable créature qui avait bien voulu descendre jusqu’à lui. On sentait que, pour le moindre manque d’égards envers elle, le doux Dumesnil serait devenu féroce.

Le peintre, en effet, semblait trouver son bonheur tout naturel ; il s’y était fait trop vite, ne s’en montrait jamais surpris et, de tous ceux que charmait sa femme, il était le moins prompt à reconnaître ses mille qualités. Non qu’il ne les appréciât point, mais on eût dit qu’il se mêlait un peu de jalousie à la satisfaction de son orgueil, et qu’il eût voulu que ses hôtes habituels s’occupassent un peu moins de la maîtresse de maison pour admirer un peu plus ses œuvres à lui.

Un jour, chez un sculpteur de ses amis, où étaient réunis des visiteurs qu’il ne connaissait pas, il avait entendu l’un d’eux demander à un de ses confrères :

« Allez-vous chez Mme Paul Meyrin ? On affirme que c’est une femme d’un esprit rare et d’une distinction parfaite. » Cela l’avait froissé. Ainsi, ce n’était pas chez lui qu’on venait, mais chez sa femme. Sa belle-sœur, à laquelle il eut la maladresse de raconter ce propos, ne laissa pas échapper l’occasion de placer une méchanceté.

— Mon pauvre Paul, lui répondit-elle, tu n’as que ce que tu mérites. Si tu penses qu’on épouse un grande dame pour être le premier chez soi, il faut que tu sois resté bien jeune. Ah ! tu n’es pas au bout de tes humiliations ni de tes peines.

— Que voulez-vous dire ?

— Je veux dire, puisque tu m’interroges, que ta femme est beaucoup trop élégante pour sa situation actuelle. Sans doute, elle se croit toujours dans son palais de Saint-Pétersbourg. Dans ton atelier, elle trône comme une