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fille, dont l’avenir devait être l’unique objectif de chacun.

Par un phénomène psychologique qui, devenant d’ailleurs moins rare de jour en jour, est un signe de notre époque pratique, dans cette famille d’artistes, car Mme Meyrin était elle-même fort bonne musicienne, tout était bourgeois, terre à terre : les mœurs, les tempéraments, les aspirations. Pour les Meyrin, les succès n’étaient réels que s’ils rapportaient beaucoup. Peu importait à Mme Meyrin que son mari eût enlevé d’une façon magistrale tel ou tel morceau, ou que Paul eût réussi telle ou telle toile. Combien cela avait-il été payé ? Tout était là, aussi bien, hélas ! pour Frantz et son frère que pour la maîtresse de maison.

Tout à leur œuvre, bien certainement, pendant qu’ils l’exécutaient, le musicien et le peintre ne demeuraient pas longtemps dans les hautes régions de l’art dès qu’ils avaient quitté, l’un son violon, l’autres ses pinceaux. Ils ne travaillaient pas sans goût, mais ils travaillaient, dans l’acception la plus prosaïque du mot, ayant hâte en quelque sorte de terminer la tâche que leur imposaient les besoins de la vie matérielle.

Les relations des Meyrin se ressentaient naturellement de leur façon de vivre. Quoi qu’on rendît justice à son talent, à sa modestie et à son tact, Frantz restait à peu près un exécutant payé pour les maisons où il se faisait entendre, et, par économie autant que parce qu’elle aimait peu le monde, Mme Meyrin recevait rarement. Elle donnait seulement pendant l’hiver trois ou quatre matinées musicales, pour produire les élèves de son mari, surtout sa fille.

Quant aux intimes de la famille, ils étaient une douzaine au plus : quelques compatriotes, des musiciens, Armand Dumesnil, vieil artiste de l’Odéon, et une jeune femme, Mme Daubrel, qui était l’héroïne du plus douloureux des drames conjugaux.

Mariée fort jeune à un grand commissionnaire pour l’exportation, honnête homme, mais positif et un peu commun, Marthe Daubrel, qui était d’un caractère romanesque et que son mari laissait souvent seule, avait