Page:René de Pont-Jest - Le Fire-Fly.djvu/185

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Roumi était mort ; le houkabadar perdait son sang par une affreuse plaie à l’épaule gauche ; je souffrais horriblement de ma blessure à la cuisse ; Goolab-Soohbee, la cause involontaire de tous ces malheurs, gisait à nos pieds, inanimée, morte peut-être, sir Canon était fou de douleur et de désespoir ; nos bahîs nous avaient abandonnés, nos palanquins étaient brisés, et nous étions seuls au milieu de la nuit, loin de toute habitation, sans secours, à la merci des tigres ou des panthères, que l’odeur du sang pouvait attirer hors des jungles.

Anéanti, brisé d’émotion et de fatigue, je m’étais laissé tomber sur un des coussins de mon palkee. Le menton dans les deux mains, je regardais sans voir, j’écoutais sans entendre. Les pieds dans une mare de sang, je ne me rappelais plus ce que faisaient là ces cadavres cuivrés aux crânes ouverts, aux plaies béantes, aux visages crispés par les douleurs de l’agonie.

Un sanglot me fit revenir à moi.

— Ami, me disait sir John en me prenant la main, pardonnez-moi, vous souffrez et c’est moi qui suis cause de vos douleurs.

Je me levai en serrant sa main dans la mienne, et je pensai alors que je devais avoir du courage pour deux. Mon compagnon si fort dans la lutte, si énergique devant le danger, si terrible en face de l’ennemi, n’avait plus ni force, ni énergie devant le corps inanimé de sa maîtresse : il pleurait.