Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/112

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ment dans l’après-midi. Les Thugs paraissaient au loin, hors de la portée de nos carabines.

« — Le calme de ces drôles ne présage rien de bon, murmurait parfois l’officier.

« Cependant la journée s’écoula tranquillement ; mais rien n’annonçait l’approche de nos libérateurs.

« — Est-ce que ces magots-là seraient parvenus à détourner le régiment de son chemin ? demanda Calm, qui sondait la prairie du regard.

« Tout à coup il s’écria :

« — Voilà qui est particulier ? Ils ont oublié d’emporter deux de leurs morts, que je vois là-bas étendus sur le dos.

« Puis il se mit à rire.

« — Suis-je assez niais de n’avoir pas deviné de suite leur malice cousue de fil blanc ! Ces deux corps-là appartiennent à deux espions bien vivants qui nous surveillent. Ah ! mes garçons, vous faites les morts. Vous ne savez que la chanson, je vais vous en apprendre l’air.

« Chargez-moi la carabine à longue portée, me dit-il.

« — Où sont les balles ? lui demandai-je, ma provision est épuisée.

« — Là, dans un sac… Trouvez-vous ? non ! cherchons bien.

« Nos recherches furent vaines.

« Le colonel se pencha en dehors de la plate-forme et dit :

« — Le sac est tombé, je le vois au bas de la roche ; dans notre précipitation à monter, nous ne l’aurons pas solidement attaché.

« — Diable ! ça se complique, fit Calm. Bah ! laissez venir la nuit, et je descendrai.

« Deux heures après, avant l’arrivée des tigres, nous tenions la corde à Calm, qui se laissa glisser dans l’ombre.

« Au bout d’un instant, nous entendîmes le piétinement d’une lutte, puis la voix de notre ami nous criait :

« — Colonel, je suis pr…

« Et la voix s’éteignit comme celle d’un homme qu’on bâillonne ou qu’on étrangle.

« On comprend l’horrible émotion qui nous saisit en entendant la voix mourante de notre brave compagnon.

« Sans munitions et sans vivres, nous allions bientôt nous-mêmes aussi nous trouver à la merci d’un ennemi impitoyable.

« Le colonel se rapprocha de moi :

« — Si Calm est encore en vie, me dit-il à voix basse, les Thugs ne l’immoleront pas avant le lever du soleil. Peut-être qu’avant, le régiment passera pour nous délivrer. Qui sait s’il n’est pas campé à quelques milles de nous, en attendant le jour pour se mettre en route ?