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Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/147

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santes ; elles s’approchèrent, faisant rutiler leurs anneaux jaunâtres, se lançant en avant d’un jet ou se tordant sur elles-mêmes. Enfin, l’un de ces reptiles immondes se précipita sur la malheureuse femme, qui poussa un cri déchirant ; une commotion électrique la souleva toute entière, elle se roula sur le sol avec des gémissements, des sanglots et des cris qui n’avaient rien d’humain.

« Un second reptile s’élança et la mordit. La pauvre enfant, la tête renversée, les traits contractés, une salive rouge aux lèvres, se cramponnait à terre en proie à une souffrance atroce. Enfin, son corps tout entier fut couvert de ces effroyables bêtes. C’étaient des najas, dont la morsure fait mourir dans d’horribles douleurs. Mais ce n’était pas assez pour l’infâme.

« Un second sac fut ouvert, il s’en échappa des copras qui se jetèrent en sifflant sur la malheureuse.

« En un instant son beau corps devint bleu sous le poison infusé dans ses veines, et pressée sous des milliers de blessures, entourée d’un manteau de bêtes visqueuses, elle râla bientôt sans voix, sans souffle.

« Alors un Thug s’avança, il charma les reptiles qui abandonnèrent leur victime, et lançant sur elle les deux pécaris qu’il tenait en laisse, il la livra à ces porcs sauvages. D’un bond il furent sur elles ; puis de leurs groins ils fouillèrent ce corps de femme ; leurs dents la déchirèrent en se disputant les lambeaux de ses chairs pantelantes.

« Mes enfants avaient assisté à cette épouvantable torture en sanglotant, serrés l’un contre l’autre, en proie à une terreur folle. Les Thugs s’approchèrent d’eux, les délièrent, et le supplice de l’aîné commença.

« Les bourreaux avaient abaissé les troncs souples de grands bambous, que plusieurs hommes tenaient pliés à l’aide de cordes. Mon pauvre enfant y fut attaché par les mains et les pieds ; puis, à un signal que donna Van Lyden, les quatre troncs s’écartèrent à la fois, un horrible craquement d’os se fit entendre, un affreux cri traversa les airs et je vis, oui, je vis le corps de mon fils se disjoindre, sa poitrine s’ouvrir dans un atroce déchirement, et ses membres arrachés tomber le long des bambous. Quelques convulsions les agitèrent et le sang rouge tomba goutte à goutte sur le sol.

« Alors, comme ivres, rendus furieux par ce massacre, les Thugs se précipitèrent sur mon dernier né et l’étranglèrent.

« Et j’étais là, moi, poussant des cris inarticulés, mordant mes liens, fou de désespoir et de rage, lorsque Van Lynden vint à moi et me dit :

« — La déesse doit être satisfaite de l’offrande que nous venons de lui faire ; ne gémis pas comme une femme, ton épouse et tes fils sont partis pour le séjour bienheureux d’Indra, et leurs âmes, placées à la droite de Vichnou, le contemplent dans sa splendeur, que les Eradjatis seuls ont connue sur terre. »