Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/159

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Thugs, lorsque tout à coup, comme si elles étaient sorties de terre, des têtes d’hommes, cinq à chacune des deux fenêtres du salon, se levèrent brusquement, et j’aperçus au même instant les dix roseaux dont étaient armés les Étrangleurs qui s’allongeaient vers les bougies du lustre.

« Je compris alors !

« En un clin d’œil, l’obscurité la plus complète régna dans le salon ! Puis, j’entendis des cris d’effroi, le bruit d’une lutte, et après que le silence se fût rétabli, je n’eus pas de peine à distinguer dans l’ombre les Thugs qui se sauvaient en emportant les quatre dames évanouies.

« Ce hardi coup de main s’était opéré en moins d’un quart-d’heure. Les victimes furent soulevées par-dessus le mur, et, sans que personne inquiétât les ravisseurs, ceux-ci repartirent comme ils étaient venus.

« J’avais quitté mon poste pour les suivre des yeux et savoir quelle direction ils prendraient.

« En les voyant se diriger vers la caverne, ma première pensée fut d’aller requérir main-forte auprès du commandant des troupes anglaises, et je m’engageai dans les rues de Madras.

« Mais, en route, une idée qui ne m’était jamais venue jusqu’alors se fit jour dans mon cerveau et m’arrêta court. Cette idée conciliait tout, si je la réalisait : ma vengeance et le salut des victimes.

« Serrant aussitôt autour de mes reins la corde de mon pagne, je m’élançai sur les traces des ravisseurs, et moins d’un quart d’heure plus tard, j’atteignais la bande de sable dans laquelle ils avaient marché pour se diriger vers leur repaire.

« Je n’avais guère perdu que vingt ou vingt-cinq minutes dans Madras et je me croyais bon coureur ; cependant aucune forme humaine ne se dessinait devant moi. Les Thugs avaient déjà gagné leur antre.

« Sans plus de bruit qu’un serpent dans l’herbe verte, je rampai alors vers mon entrée particulière et j’arrivai bientôt à mon observatoire.

« Au moment où j’écartai légèrement le rideau de mousse, la caverne était inondée d’une vive lumière, un spectacle singulier s’offrait à mes yeux.

« En face de moi, sur un énorme quartier de roc, un monstre grimaçant, image grossière de la déesse Kâly, ouvrait une bouche énorme garnie de dents acérées. Aux pieds de cette statue, au milieu d’une grande pierre plate, se trouvait une large écuelle dans laquelle je vis le terrible mouchoir.

« À droite et à gauche de cette espèce d’autel, des Thugs, en plus grand nombre que je ne le pensais — une quarantaine au moins — étaient accroupis, les bras et la poitrine nus. Ils formaient un demi-cercle.

« Tenant chacun une torche allumée, ils regardaient tour à tour la déesse Kâly et quarante femmes, parmi lesquelles je reconnus celles qui avaient été enlevées devant moi.