« — Qu’attends-tu ? me dit le chef, la déesse est irritée, frappe !
« Mais je ne pouvais pas ; non, je ne pouvais pas frapper mon frère, je ne voulais pas. Je jetai bien loin l’arme maudite en m’écriant :
« — Tuez-moi, torturez-moi, infligez-moi vos supplices les plus cruels, je ne frapperai pas ! »
À cet endroit de son récit, le malheureux sir Harry Temple s’arrêta un instant ; le souvenir de cet horrible drame étouffait sa voix ; l’auditoire haletant partageait son émotion.
Le brave gentilhomme, après quelques minutes de silence, fit cependant un effort suprême et continua :
— Hélas ! j’avais compté sans l’infernale barbarie des Thugs. Malheureux ! au milieu de mes horribles angoisses, j’oubliais que ma femme, que mes filles, liées et bâillonnées, assistaient à cette épouvantable lutte. Les Étrangleurs, eux, ne l’oubliaient pas.
« — Ah ! tu ne veux pas immoler la victime sacrée ? me dit le chef, eh bien ! je le jure par le nom qu’un mortel ne doit pas prononcer sans trembler, si tu résistes plus longtemps à nos ordres, toutes les femmes qui sont là seront mises à mort sous tes yeux.
« Et comme je baissais la tête et ne répondais pas :
« — Saisissez une de ces femmes, commanda-t-il à ces monstres, je vous la donne.
« Deux de ces infâmes se précipitèrent sur notre pauvre femme de chambre et l’entraînèrent. Quelques secondes après, des cris déchirants nous apprenaient que son supplice commençait.
« Alors le vertige s’empara de moi : je vis mes filles, ma femme aux mains de ces démons, et je criai :
« — Grâce ! grâce pour elles ! Je frapperai.
« On me rendit mon poignard. »
Ici, la voix de sir Temple devint si faible que le président crut devoir l’engager à se reposer.
Il fit un signe négatif et continua d’une voix plus forte.
— Devant moi, étendu à terre, les mains liées, la poitrine découverte, était mon frère. Près de moi, ma femme et mes filles se tenaient debout. Entre leur vie et leur honneur à elles et sa vie à lui, il me fallait choisir. Oh ! mylord ! oh ! messieurs, qui vous dira mes angoisses et la détresse de mon cœur ! Et l’implacable chef d’une voix impérieuse, répétait :
« — Frappe donc !… Frapperas-tu !
« Lui aussi, mon pauvre Georges, mon frère aîné, m’encourageait :
« — Frappe ! ô mon frère ! me disait-il, n’hésite pas, sauve ta femme, ma sœur bien-aimée, délivre tes enfants ! Frappe pour amour de moi !