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À ces dernières paroles de l’attorney général, malgré tout le respect qu’imposait le tribunal, des applaudissements frénétiques éclatèrent, et plus d’un quart d’heure fut nécessaire pour rétablir le silence.

Feringhea seul avait conservé tout son calme.

Les bras fièrement croisés sur sa poitrine, la tête haute, les yeux fixés sur les grandes croisées qui éclairaient la salle, il avait affecté de ne prêter aucune attention au récit de l’attorney général ni à ce qui se passait autour de lui.

C’est à peine si le bruit parut l’arracher au rêve qu’il semblait suivre.


III

INTERROGATOIRE DE FERINGHEA



Feringhea ne se décida à redescendre dans le monde de la terrible réalité que lorsque lord William Bentick lui adressa la parole en ces termes :

— Feringhea !

« Voulez-vous nous dire toute la vérité :

« Sur votre puissance ?

« Sur votre jeunesse ?

« Sur votre initiation ?

« Sur votre vie de Thug ?

« Sur vos crimes ?

« Sur la mystérieuse association dont, selon votre aveu, vous êtes un des chefs suprêmes ? »

L’Hindou, relevant la tête, rejeta en arrière ses longs cheveux flottants, avec le mouvement sauvage d’un lion qui secoue sa crinière ; ses yeux se chargèrent d’éclairs, et de sa voix calme, ferme, vibrante, il commença avec ce coloris de langage particulier à sa race et qui caractérise d’ailleurs les idiomes de l’extrême Orient :

— Oui, je vous dirai la vérité toute entière, car les temps sont venus. S’il en était autrement, je ne serais pas entre vos mains. L’Inde a encore de mystérieux asiles ignorés de ses envahisseurs.

— Nous vous écoutons.

— Je suis né entre les pattes d’un lion, à Mavalipouram, la ville du grand Bali, la cité morte. On m’a dit que ma mère était la femme aimée d’un rajah puissant.

« C’est tout ce que je sais de ma première enfance, car si ma mémoire