Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/216

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pas moins en séance à cinq heures du matin, et les avocats commencèrent aussitôt leurs plaidoiries en faveur des accusés.

Mais ces défenseurs pouvaient à peine prononcer dix mots de suite sans être interrompus par les murmures de l’auditoire, dont sir George Monby réclamait vainement le silence.

Du reste, ces avocats ne parlaient que par acquit de conscience, car la majeure partie des accusés n’avaient pas voulu être défendu. Ils se contentèrent, pour la plupart, d’invoquer en faveur de leurs sinistres clients le manque d’éducation, le fanatisme politique et religieux, l’obéissance aveugle à des croyances aveugles. Quelques-uns parlèrent cinq minutes à peine.

Un seul d’entre eux fut plus long et s’efforça de lutter corps à corps avec l’accusation.

C’était un jeune et brillant maître qui s’était chargé de la défense de Feringhea.

Sa voix était puissante, son geste imposant, et son exorde fut d’une telle éloquence que l’auditoire vaincu fit silence pour l’écouter.

Nous ne redirons pas cette plaidoirie qui devait faire le plus grand honneur au jeune avocat.

Pour lui, Feringhea était un de ces héros légendaires que la fatalité prend par la main au début de la vie et qui avait su dominer le destin en mettant un terme, de sa propre volonté, à une série de faits monstrueux que la justice ne pouvait atteindre.

— On n’avait pas le droit, dit l’éloquent défenseur en terminant, de descendre au fond du cœur de Feringhea pour y chercher le mobile de ses actes ; le but était atteint, c’est tout ce que les juges du chef des Thugs devaient voir, pour se souvenir de la promesse qui lui avait été faite de la vie et de la liberté.

À ces mots, Feringhea se leva et fit signe qu’il désirait parler.

Les murmures par lesquels l’auditoire avait accueilli la péroraison de l’orateur se turent aussitôt et sir Georges Monby ayant autorisé le terrible chef à parler, Feringhea prononça ces étranges paroles :

— Mylord, messieurs, je remercie bien sincèrement mon défenseur, mais je repousse l’appel qu’il vient de faire à votre clémence. Je vous rends votre parole ; il me suffit d’avoir tenu la mienne. Je ne veux ni de la vie ni de la liberté. J’ai conduit ces hommes devant vous parce que telle était ma volonté. Ils m’avaient désobéi, ils devaient être punis. Kâly l’avait ordonné. Quant à moi, si je sortais du fort Saint-Georges vivant et libre, j’aurais commis un acte de lâcheté et non de justice. Comme ceux que j’ai condamnés et que vous allez condamner vous-mêmes, je dois mourir !

Nous ne saurions rendre l’impression que produisit sur la cour et sur l’auditoire cette déclaration de Feringhea.