Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/223

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— Maître, je vous en conjure !… supplia le prêtre.

— Pas un mot de plus, Romanshee, souviens-toi de mes moindres paroles, et laisse-moi, l’heure est arrivée. Que Wichnou te protège et que Yama me reçoive sans colère !

Et portant à ses lèvres la perle noire enchâssée dans sa bague, Feringhea la broya entre ses dents.

Un quart d’heure plus tard, lorsque le geôlier qui avait conduit Romanshee entra dans le cachot du chef des Thugs, il n’y trouva plus que le brahmine qui priait auprès d’un cadavre.

C’est pour cela que le troisième jour qui suivit sa condamnation, lorsque les troupes sortirent à sept heures du matin du fort Saint-Georges, elle n’escortaient de leurs rangs pressés que douze condamnés. Ces hommes marchaient la tête haute et semblaient défier la mort et le peuple, dont rien ne put arrêter les imprécations, pendant la demi-heure de marche qu’il fallut au lugubre cortège pour gagner la porte de Méliapour.

Là, à l’extrémité du champ de manœuvre, on avait dressé douze potences grossières, au pied desquelles se tenaient les exécuteurs, que l’autorité avait dû prendre parmi les cipayes, et les condamnés européens, car aucun Hindou libre n’aurait osé devenir, en semblable circonstance, l’auxiliaire de la justice anglaise.


XXXI

EXÉCUTION.



L’arrivée des condamnés sur le lieu du supplice fut un horrible et dernier scandale.

Hyder-Aly, chef en face de la mort comme il l’avait été au milieu des plus criminels attentats, n’eut pas plutôt aperçu le gibet qu’il entonna en l’honneur de Kâly un hymne que ses compagnons redirent à tue-tête.

Ni les cris ni les malédictions des spectateurs ne purent les interrompre.

Ils ne s’arrêtèrent pas même pour gravir la plate-forme, et la mort vint à peine mettre fin à cet épouvantable scène, car les suppliciés, de leurs bouches grimaçantes, semblèrent murmurer longtemps encore après leur strangulation leurs sinistres refrains.

Toute la journée la foule ne cessa d’occuper le lieu de l’exécution. Le soir seulement, lorsque les silhouettes des cadavres se dessinèrent sur l’azur sombre du ciel, la place se fit déserte, et les oiseaux de proie commencèrent alors à s’abattre sur les gibets.