Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/230

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On n’entendait plus résonner çà et là, sur les larges chaussées de granit que les pas pesants des soldats anglais, qui regagnaient en courant la citadelle de Golconde.

L’écho ne redisait que les psalmodies des brahmines attardés et les grondements des gongs, rappelant aux sectateurs de Vichnou que l’heure de la prière du soir avait sonné.

Le mouvement avait cessé surtout dans le faubourg de la ville, bien qu’il s’y élevât encore plus de dix de ces palais luxueux, où les princes hindous cachent soigneusement à tous les regards, depuis la conquête, leur abaissement, leur vie contemplative et leurs débauches.

Ces immenses demeures, tristes et désolées, paraissaient n’être plus que de vastes nécropoles, debout seulement pour protester au nom d’un passé glorieux.

Pas un rayon de lumière ne jaillissait d’aucune d’elles ; pas un éclat de voix joyeuse ne s’en échappait.

On eût dit qu’elles n’étaient plus habitées que par des ombres.

L’un de ces palais était celui du prince Moura-Sing, le plus proche parent de Nizam, et l’héritier de ce fantôme de puissance que les vainqueurs ont bien voulu accorder aux descendants dégénérés d’Aureng-Zeyb.

C’était une de ces grandes et bizarres constructions, si nombreuses dans la presqu’île, où les invasions successives ont laissé dans les religions, les mœurs et les arts, des traces impérissables de leur passage.

Il offrait aux yeux un mélange étrange du style musulman et de l’art indien, mélange qui a peut-être donné naissance à l’architecture mauresque.

Dans certaines de ses parties, l’influence grecque elle-même s’y faisait sentir.

Autour de vastes cours pavées de mosaïques et ornées de larges bassins, couraient de longues galeries soutenues par de grêles colonnes de marbre ; un peu plus loin, le poids énorme des monolithes des voûtes était supporté par des piliers de pierre, massifs et cannelés.

La petite pagode consacrée à Vischnou, qui s’élevait, ainsi que dans toutes les demeures princières, dans un des angles du jardin, avait été copiée sur un des vieux monuments brahmaniques de l’Inde.

La façade du palais était au contraire d’une construction élégante et nouvelle et se terminait par une terrasse, sur laquelle, au moment où nous commençons ce récit, se promenaient deux jeunes hommes, qu’on eût pu prendre au premier aspect pour deux frères, tant ils se ressemblaient.

Ils étaient évidemment tous deux du même âge ; tous deux ils avaient ce type pur et originaire des Tudas[1] qui tend à disparaître.

  1. Ancienne et noble race hindoue.