Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/234

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Depuis ce jour-là, miss Ada n’avait plus revu son sauveur.

Il la fuyait comme on s’éloigne d’un danger contre lequel on se sent sans défense.

Romanshee savait tout cela, et cependant, à l’étonnement de Nadir, qui ne lui avait rien caché, il ne l’avait pas détourné de cet amour.

On eût dit qu’il pressentait qu’il pourrait un jour servir à ses projets.

Quant à Sita, elle avait deviné en partie seulement ce qui se passait dans le cœur de son fiancé ; mais le vieux brahmine avait rassuré sa fille en lui jurant que, le jour où lui le voudrait, le jeune Hindou l’aimerait et n’aimerait qu’elle, car elle lui donnerait la puissance.

L’enfant s’était alors efforcée de dompter sa jalousie et espérait.

Le lecteur sait maintenant quels étaient ces deux jeunes hommes qui se promenaient sur la terrasse du palais du faubourg d’Hyderabad.

Moura-Sing venait de faire part à son ami du projet qu’il avait formé d’aller passer un an ou deux en Europe ; Nadir s’efforçait de le dissuader d’exécuter ce voyage.

— Il est trop tard maintenant, répondit le prince à une dernière objection de son compagnon d’enfance.

— Pourquoi trop tard ? demanda Nadir.

— Parce que j’ai donné à Seler, mon intendant, l’ordre de tout préparer pour mon départ, et que le vice-roi vient de me faire remettre par le colonel Maury les lettre de recommandation que je lui avait demandées pour Londres. Je dois reconnaître qu’il a mis le plus gracieux empressement à se rendre à mes désirs.

— Tu en es étonné ?

— Un peu.

— Eh bien, moi, mon ami, c’est le contraire qui m’eût surpris. Sois certain que le gouvernement anglais voir toujours avec le plus vif plaisir les héritiers des radjahs s’éloigner de leurs États, si faible qu’y soit leur puissance. Il sait bien qu’à leur retour d’Europe, ils ne rapporteront pas dans leurs palais l’amour de la liberté, ni le rêve de l’indépendance, mais seulement une certitude nouvelle de la force britannique et un complément de vices qui, mieux que tous les traités et que tous les serments, font de leurs tributaires de fidèles alliés. Voilà pourquoi, mon cher prince, le vice-roi s’est empressé de te faire parvenir les lettres d’introduction dont tu lui sais si bon gré. Pour peu que tu le désires, il te fournira même des gardes jusqu’à ton port d’embarquement. On fait aussi escorter le condamné qu’on conduit au gibet.

— Tu es fou ! mon pauvre Nadir. Ah ! Romanshee a semé dans un bon terrain ses chères illusions : la révolte, la régénération de l’Inde, la guerre sainte, tous ses rêves !