Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/251

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plus scandaleuses aventures, et on ne s’expliquait pas qu’il eût amené, seule avec lui, à Hyderabad, miss Ada, fille d’un second mariage, tandis qu’il avait laissé en Europe les enfants de son premier lit, deux fils et une fille.

Cette fille s’appelait Ellen ; Ada avait pour elle la plus vive et la plus sincère amitié, et bien qu’elle eût quitté Londres enfant, elle était en correspondance régulière et fréquente avec elle, malgré les ordres de son père.

Ce qu’on ne pouvait ignorer, ce qui avait promptement frappé les yeux et autorisé les suppositions les plus fâcheuses, c’est le peu d’affection que le père et la fille avaient l’un pour l’autre.

Ils vivaient sous le même toit comme des étrangers. C’est à peine si, les jours de réception, ils s’asseyaient à la même table.

Cette mésintelligence avait pris une forme plus déterminée, plus âpre, depuis le jour où miss Ada avait reçu de Londres une lettre dont le signataire lui était inconnu, mais qui lui révélait un secret terrible.

Enfant, elle n’avait pas pensé à sa mère que pour mêler son nom à ses prières ; jeune fille, elle l’avait plus fréquemment regrettée dans son isolement et elle avait alors questionné son père, sans se douter, dans son ignorance du passé, que cette demande si naturelle dût éveiller contre elle la colère, la haine même de sir Arthur.

— Votre mère est morte, miss Ada, lui avait-il répondu durement, malgré les pleurs qui inondaient ses yeux ; vous feriez mieux de ne m’en parler jamais.

Depuis ce jour-là, la jeune fille n’avait plus questionné son père, et c’est peu de mois après qu’elle avait reçu d’Europe cette lettre étrange dans laquelle on lui disait :

« Miss, votre mère vit toujours. Lorsque vous viendrez en Angleterre, si vous voulez la voir, adressez-vous à Jack Thompson, Dog’s lane, près du pont de Londres. »

C’était écrit sur un papier tâché, sordide et d’une écriture évidemment contrefaite.

Vingt fois, elle avait été sur le point d’interroger ce nouveau sir Arthur, mais n’osant le faire, elle avait refermé en elle la pensée fixe, opiniâtre, de fuir cette maison d’où sa mère était exilée et ce pays qui n’était pas le sien.

Tout ce qu’elle savait de sa mère, c’est qu’elle était d’origine plébéienne — Son père le lui avait souvent reproché, — que sir Arthur ne l’avait épousée que pour la fortune immense qu’elle lui avait apportée en dot, et que, maintenant qu’elle avait vingt ans, cette fortune lui appartenait par moitié, quoique son père ne lui eût jamais offert de lui rendre des comptes.