Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/269

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est pour les colons anglais un simple péché véniel. Ils le pardonnent même à leurs femmes et à leurs filles.

Alors qu’il habitait les Indes, celui qui écrit ces lignes a vu dans les meilleures familles, des miss blondes et frêles, rêveuses et poétiques, boire pendant leur repas de grands verres d’eau-de-vie et sortir de table dans un état d’ébriété dont un horseguard à ses débuts se serait trouvé fort honoré.

Maître Stilson avait commencé par être brasseur ; mais, soit mépris profond pour la blonde boisson qu’il fabriquait, soit amour exagéré pour celles qui sortaient de chez ses confrères les marchands de whisky, de sherry et de brandy, ce qui aurait été chez lui la preuve d’un excellent naturel, ennemi de l’envie, il avait fait si rapidement de mauvaises affaires, qu’il avait dû fermer boutique.

Cependant, il fallait vivre, lui qui y tenait tant, et surtout bien vivre.

Heureusement que parmi les pratiques avec lesquelles il avait souvent roulé sous la table, se trouvaient d’assez hauts fonctionnaires, des officiers surtout, qui prirent en pitié plutôt sa femme et ses enfants que lui-même.

Après avoir essayé inutilement plusieurs fois de le remettre à flot, ils avaient reconnu que c’était impossible, et ils lui avaient alors cherché un métier qui ne demandât, pour ainsi dire, aucune qualité, et qui permit à peu près tous les défauts.

À ce moment même, le guichetier en chef de la prison de la forteresse de Golconde étant mort, il avait semblé grotesque à ses protecteurs de nommer à sa place le gros et joyeux Stilson, le brasseur.

Du reste, les cachots étaient si vides la plupart du temps, que c’était une véritable sinécure que d’en posséder les clefs.

Il n’avait fallu rien moins que le procès de Romanshee pour peupler la prison, qui renfermait d’ordinaire fort peu de pensionnaires.

Lorsque maître Stilson s’était vu à la tête d’un si nombreux personnel, il s’était réellement cru élevé à des fonctions importantes, et ses subordonnés avaient eu à souffrir, car il ne supportait pas la moindre opposition dans ce qu’il appelait orgueilleusement son château.

La forteresse de Golconde était et est encore aujourd’hui d’ailleurs un véritable château fort.

Construite par les anciens souverains de la province sur le sommet du rocher élevé dont les versants servent de base aux principaux édifices de la ville, puis agrandie par Aureng-Zeyb, et après la conquête, par les Anglais, c’est une citadelle imprenable.

Jadis, pendant ces guerres incessantes dont le Dekkan fut le théâtre, les habitants des cités voisines venaient chercher un abri au pied de ses murailles.