Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/271

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Nadir était resté, il est vrai, mais il était seul avec les chaînes aux pieds et aux mains. Stilson avait donc pensé pouvoir recommencer à se griser à son aise et à dormir sur les deux oreilles.

Le soir du jour où nous sommes arrivés, étendu dans un grand fauteuil de bambou, sa grosse pipe de terre entre ses lèvres lippues, le regard hébété et l’air singulièrement indécis, l’honorable guichetier se demandait à laquelle de ses deux importantes occupations favorites il allait se livrer, lorsqu’il entendit la grille de la prison s’ouvrir.

Des pas se dirigeaient de son côté.

Il se redressa et pensant qu’il s’agissait de quelque ronde inattendue, il se mit d’avance à maudire ceux qui venaient le déranger dans un si bon moment.

Mais son visage rubicond reprit bien vite son expression de béatitude, lorsqu’il reconnut que le gardien qui entrait chez lui n’était accompagné que de son ami Roumee.

Grâce à son tempérament des plus communicatifs, il s’était pris d’amitié pour le soldat mahratte qui, durant l’instruction du procès, avait presque chaque jour accompagné son chef, le capitaine George, dans la prison.

Pendant que l’officier remplissait auprès des prisonniers ses fonctions de juge d’instruction, Roumee et Stilson avaient lié connaissance le verre en main, et l’intimité était venue rapidement.

— Comment, c’est toi, mon garçon ? dit-il en reprenant dans son fauteuil sa position presque horizontale.

— Moi-même, maître Stilson, répondit le Mahratte ; mais j’aimerais mieux être à la fête.

— Qu’y a-t-il donc de nouveau ?

— Rien ! encore des corvées ! Est-ce que le capitaine George n’est pas ici ?

— Non, pas le moins du monde ! Que diable veux-tu qu’il vienne faire ? Le procès est fini, bien fini ! Ça m’a tout de même fait un drôle d’effet de voir partir tous ces pauvres diables pour…

Et le gros homme compléta sa pensée par une grimace et un geste des plus significatifs.

— Je croyais, moi aussi, que tout était terminé ; il paraît que non. Le capitaine a reçu l’ordre de se rendre auprès de Nadir, qui a des révélations à faire, et il m’a commandé de le rejoindre au fort dans la soirée.

— Alors il va venir ?

— Sans aucun doute ; mais, comme il est allé au bal du gouverneur, il est probable qu’il ne sera pas ici avant minuit ou une heure.

— Eh bien ! c’est agréable !… moi qui allais me coucher.

— Dame ! ça ne m’amuse pas plus que vous, maître Stilson.