Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/278

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— Comment, vous refusez ! dit la jeune fille, qui ne comprenait rien à cette résistance. C’est vous qui avez perdu la raison ! Ce n’est pas possible, je ne vous ai pas compris ! Ne savez-vous pas que je vous…

— Que vous m’aimez, miss. Oui, je le sais, et, je vous l’ai dit, le jour où je m’en suis aperçu, mon cœur a bondi de fierté et s’est élancé à la rencontre du vôtre.

Sa voix était redevenue douce et caressante comme aux beaux jours d’autrefois.

— Eh bien, alors ? interrogea l’Anglaise en se penchant vers lui.

— Mais l’homme que vous aimez n’est plus, Ada ; les vôtres l’ont tué en l’emprisonnant. Nadir est mort ! Si vous saviez à quelle lutte je suis réservé dans le cas où je reconquerrais ma liberté, vous ne songeriez plus à briser mes fers.

— Et que m’importe à moi, ce que vous êtes ou ce que vous paraissez être ! Pour moi, rien n’est changé ! Il me semble que vous jouez quelque comédie inexplicable, et il vous faut une raison bien terrible pour vous condamner ainsi, volontairement, à une prison qui peut être perpétuelle.

Nadir tressaillit à ces mots de la jeune fille ; on eût dit qu’une pensée soudaine venait de s’éveiller en lui.

— Tenez, continua-t-elle en s’exaltant de plus en plus, je crois que tout cela est un songe horrible. Vous refusez la liberté, la vie, mon amour ?

— Je ne refuse pas votre amour, miss Ada ; Brahma m’est témoin que mon cœur est plein pour vous de reconnaissance et d’affection, mais je ne puis accepter de vous la liberté, car je ne sortirais d’ici qu’après avoir fait le serment de me venger, et on saurait bientôt du cap Cormorin aux monts Himalaya comment l’Hindou tient sa promesse.

— Nadir ! supplia doucement la jeune fille.

— Pendant trop longtemps, reprit-il, je me suis laissé aller au charme de mes rêves ; j’ignorais que dût bientôt sonner pour moi une heure fatale, inexorable ; je ne savais pas que j’étais désigné par un peuple entier pour une tâche immense. Je l’aurais accomplie : Vischnou ne l’a pas voulu ! Il me faudra mourir lentement dans les ténèbres, moi, l’amant de l’air, de l’espace et de la liberté. L’Inde entière m’était promise, et voici mon domaine aujourd’hui. Il me faut fermer les yeux pour retrouver mes jungles et mes forêts aimées. Il ne reste à mes pas, accoutumés à la poussière des grands chemins, que ces dix pieds carrés de sol humide.

— Eh bien ! fuyez, Nadir, fuyez avec moi ; nous retrouverons tout cela ensemble !

— Jamais, miss Ada, jamais ! D’autres feront ce que le destin ne me permet pas de tenter.

La fille de sir Arthur baissa la tête. C’en était donc fait de ses rêves,