Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/298

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chaleur torride de ce moment de la journée, allait monter à cheval pour une tournée d’inspection dans la ville noire, lorsqu’une femme franchit, malgré les factionnaires, la grille du palais et vint se jeter à genoux en s’écriant :

— Par grâce, écoutez-moi !

C’était une jeune Hindoue d’une caste élevée : cela se devinait à l’élégance de ses vêtements, quoiqu’ils fussent en désordre.

— Que voulez-vous ? lui demanda lord William en écartant du geste les soldats qui voulaient la chasser.

Le gouverneur de Madras s’émut à la vue de cette jeune fille qui paraissait si profondément accablée, et il lui fit signe de le suivre au rez-de-chaussée du palais, où se trouvait son cabinet de travail.

— Que désirez-vous ? mon enfant, lui dit-il, lorsqu’ils furent seuls. D’abord, qui êtes-vous ?

— Ne me faites pas chasser, mylord, répondit-elle à travers ses sanglots. Je suis la fille de Romanshee, la fiancée de Nadir.

— La fille de Romanshee !

— Oui, la fille de celui que vos juges ont condamné et dont le cadavre, privé de sépulture, est encore suspendu au gibet de Golconde. Quel était son crime ? Je l’ignore, et ce n’est pas de lui que je viens vous parler, mais de Nadir, mon fiancé, dont je viens d’apprendre la mort dans le cachot de la citadelle de Golconde, où vous l’avez fait enfermer.

— C’était mon devoir.

— Je me serais laissé ensevelir sous les ruines de sa maison, où je m’étais réfugiée, si je n’avais pas conservé un dernier espoir, celui de revoir mon père avant qu’il mourût. Je me suis alors sauvée de l’incendie.

— J’ai sévèrement blâmé ces excès qui se sont faits sans mes ordres. Que puis-je maintenant pour vous ?

— Je voudrais, mylord, que vous me fissiez remettre les restes de mon fiancé, afin que je puisse le faire inhumer selon les rites de notre religion.

— Comment savez-vous donc qu’il est mort ?

— Le bruit s’en est rapidement répandu dans la ville ; il est venu jusqu’à moi. Me refuserez-vous cette suprême consolation ? Nadir n’était pas coupable, et maintenant qu’il n’est plus, laissez-moi emporter ses restes inanimés, afin qu’il me soit possible au moins d’être pour le mort l’épouse fidèle que Vischnou ne m’a pas permis d’être pour le vivant.

Le gentleman anglais se promenait à grands pas, ne voulant pas refuser ce que cette infortunée lui demandait, et cependant hésitant à le lui accorder.

Lord William cherchait à concilier ses sentiments généreux et ses devoirs.

Sita attendait qu’il se prononçât sur son sort.

Il parut enfin avoir pris un parti.