Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/312

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côté de ton tombeau. Après l’arrestation de mon père, je me suis sauvée chez toi, mais j’ai été chassée par des hommes de la race de cette femme qui m’a volé ton cœur.

En même temps que son fiancé avait recouvré la vie, la fille du brahmine avait senti renaître toute sa jalousie.

— Silence ! Sita, interrompit l’Hindou, et n’aie pour cette étrangère que respect et reconnaissance, car c’est une vaillante fille. Laisse-la s’approcher de moi.

Le brahmine, qui ne perdait pas un mot de cette scène, attira Sita vers lui.

Miss Ada ne savait rien de ce qui s’était dit : Nadir et sa fiancée s’étaient exprimés en langue tamoul, qu’elle ne comprenait pas.

Du reste, ce dont elle venait d’être témoin lui avait causé un si profond étonnement, qu’il ne fallut rien de moins que la voix de celui qu’elle avait sauvé de la mort pour la rappeler à la réalité.

— Miss Ada, lui dit-il, merci : vous avez tenu votre promesse, ma reconnaissance sera pour vous éternelle. Mais vous ne pouvez rester plus longtemps ici, retournez à Hyderabad et pardonnez-moi de vous avoir trompée. Nous nous reverrons !

Il lui avait tendu la main, et son regard, qui avait repris toute sa puissance, plongeait dans les yeux de la jeune fille.

— Quand ? demanda-t-elle.

— Bientôt, attendez chez vous. Vous saurez comme l’Hindou sait aimer et punir.

Seulement alors, il aperçut Roumee, et son visage s’assombrit.

— Ai-je besoin de vous demander, miss Ada, si vous êtes sûre de cet homme ? poursuivit-il avec inquiétude.

— Sûre comme de moi-même, Nadir. Il aime une femme qui donnerait sa vie pour m’épargner une larme.

— Tant mieux, alors ; car, dans le cas contraire, il serait préférable pour moi que je fusse resté vivant dans mon cercueil, et que mon corps eût subi toutes les tortures. Allons, miss, encore une fois merci et à bientôt. Le jour doit être près de paraître, hâtez-vous !

Comme épuisé de cette première victoire sur la mort, il retomba sur sa couche, suivant du regard la fille de sir Arthur, que Roumee entraînait hors de la maison.

Lorsqu’il eut entendu la porte se refermer derrière eux, il rappela Sita près de lui, et la tête sur le sein de la jeune femme, il parut s’assoupir profondément.

Mais le corps seul de Nadir succombait à la fatigue. Son esprit veillait et cherchait la solution de ce terrible problème de vie et de mort qu’il s’était posé à lui-même.