Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/315

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longue route à faire et je partirai demain à la fin du jour, si mes forces me le permettent.

— Je ne te reverrai plus !

— Brahma seul le sait, Sita ! Tu le prieras pour moi ; il est le souverain maître de nos destinées. Laisse-moi te donner un dernier baiser d’adieu et console-toi. Bientôt tu pourras lever orgueilleusement la tête et te parer de tes plus beaux atours, car le nom de Nadir retentira comme un glas funèbre sur toutes les terres où flotte le pavillon de nos ennemis. Le tigre de Saugor terrassera le lion britannique.

— Que ta volonté soit faite, maître ! répondit Sita avec la soumission ordinaire des femmes hindoues et en étouffant ses larmes.

Puis elle avait veillé jusqu’au point du jour sur le sommeil de son fiancé, et après lui avoir fait un suprême et déchirant adieu, elle s’était éloignée avant le lever du soleil.

Dès qu’il fut seul, Nadir détacha de son cou les deux émeraudes qui y étaient suspendues, car il avait joint à celle qu’il possédait depuis son enfance celle que lui avait donnée Romanshee dans le cachot de Golconde, durant cette nuit qu’ils avaient passée ensemble, et il se mit à examiner attentivement ces pierres mystérieuses.

Sur chacune d’elles était d’abord gravé ce signe que Nadir portait sur le bras gauche, puis, au-dessous de ce signe, on lisait sur chaque émeraude un fragment de phrases en prâcrit.

Épelés séparément, ces mots ne présentaient aucun sens complet. Sur l’une des pierres il y avait : Le lion de Serdsad-Ji veille ; et sur l’autre : À cinq cents pas devant lui est la puissance.

Réunis au contraire, ces fragments de phrase étaient une énigme, mais seulement un énigme, dont l’élève de Romanshee devait deviner le mystère.

Serdsad-Ji avait été le dernier radjah de Tanjore et l’un des adversaires les plus redoutables de l’Angleterre, jusqu’au moment où Hyder-Ali, sacrifiant les intérêts de sa patrie d’adoption, l’avait renversé, et préparé ainsi, pour les envahisseurs, la conquête du Dekkan méridional.

La légende disait qu’Hyder-Ali, musulman d’origine, avait voulu terrasser surtout dans le radjah de Tanjore le défenseur du brahmanisme, que l’invasion avait repoussé dans le sud de la presqu’île indoustane, et le chef occulte, bien qu’il parût protéger les chrétiens, de cette impitoyable secte des Thugs, qui s’étendait des sources du Gange au cap Cormorin et frappait indistinctement tous les étrangers, quelle que fût leur nationalité.

Nadir n’ignorait rien de ces faits historiques et il savait, de plus, Romanshee lui en avait souvent parlé, que le successeur d’Hyder-Ali, le fameux Tippoo-Saïd, avait fait élever, pour la mémoire de son père, un