Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/354

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Les cloches leur répondirent et le silence se fit.

L’un des chefs alors, arrachant le masque hideux qui lui couvrait le visage, s’approcha de la statue comme pour lui demander aide et protection, et prit la parole.

Sa voix sonore pénétrait jusqu’aux extrémités du temple.

L’étranger l’écoutait attentivement.

Il raconta d’abord, en la maudissant, cette trahison inexplicable de Feringhea qui avait livré jadis ses frères aux oppresseurs et aux bourreaux ; puis, appelant sur son âme — puisqu’il était mort, lui aussi — toute la colère de Yama, il dit à ceux qui l’écoutaient :

— Nous devons maintenant, fidèles serviteurs de Kâly, venger ceux des nôtres qui ne sont plus, et recommencer une lutte impitoyable, sans trêve ni merci. Un nouveau Maître est né ; cette nuit même il sera parmi nous. Le soleil de demain sera l’aurore de la guerre sainte. Il faut que les envahisseurs reconnaissent bientôt que tous les sectateurs de la déesse n’ont pas succombé, et que, si un traître a pu naître parmi nous, il s’y trouve aussi des vengeurs par milliers ! Êtes-vous prêts ?

L’assemblée, immobile, anxieuse, se souleva comme une vague déchaînée ; mille cris d’enthousiasme et de colère retentirent, et le nom de Feringhea fut jeté aux échos au milieu des malédictions.

Celui qui écoutait dans l’ombre sembla faire un effort surhumain pour rester maître de lui.

Le tumulte se calma cependant.

Le chef avait repris la parole.

— Mais nous devons, disait-il, avant de nous disperser sur cette terre qui nous appartient et qui est celle de nos aïeux, appeler à notre secours la toute-puissance de Kâly. Elle s’est retirée de ses enfants, la terrible épouse de Schiba, parce que, obéissant aux ordres du traître, nous avons négligé ces sacrifices sanglants que ses lois ordonnent. Réparons cet oubli, et que nos mains ne s’élèvent vers elle que teintes du sang de nos ennemis, que chargées des chairs pantelantes des victimes.

La foule enthousiasmée dévorait chacun de ces mots.

Ces mille têtes aux yeux brillants, aux longues chevelures flottantes, ne semblaient respirer que meurtre et carnage.

On eût dit des tigres et des chacals prêts à s’élancer au combat.

Ces mains crispées, qui se tordaient suppliantes vers Kâly, paraissaient armées de griffes acérées.

L’étranger cependant, avec un sourire de mépris sur les lèvres, s’avançait lentement vers le seuil du temple.

— Eh bien ! fils aimés de la déesse, continua le jamadar, Kâly a voulu nous livrer elle-même la victime qui devait lui être offerte. Nulle ne pou-