— Parlez ! maître, parlez ! s’écria la foule, dont la colère avait subitement disparu.
Nadir continua :
— Nous ne pouvons plus maintenant rien espérer de ce peuple qui s’est fait à la servitude et auquel les vainqueurs n’ont apporté que leurs vices ; et votre œuvre, à vous qui m’entendez et qui occupez un rang élevé dans les différentes provinces conquises, c’est de murmurer à l’oreille des malheureux lâchement courbés ces paroles d’espoir qui font battre le cœur.
« Leur rôle, à ceux qui sont brahmines, c’est de revenir à notre religion pure et sacrée, et d’user de leur puissance sur le peuple pour l’arracher à la mollesse, à l’oisiveté, à l’abrutissement et à cet aveuglement insensé qui lui fait oublier que tous les Indiens sont sortis du sein de Brahma et qu’ils en sont tous également aimés.
« À ceux qui sont marchands, c’est de se rapprocher de nos ennemis pour leur disputer leur influence dans les affaires.
« À ceux qui sont magistrats, c’est d’être plus intègres que les magistrats étrangers, afin de gagner le respect et la confiance de tous.
« À ceux qui sont soldats, c’est de donner l’exemple du dévouement, de la discipline et du courage ; c’est de s’initier à la science militaire de nos maîtres, afin qu’au moment de la lutte, lorsque l’heure de la révolte sonnera, tous les Hindous en masse, quelque soient leur rang, leur secte ou leur caste, se groupent autour d’eux !
La voix de Nadir, en prononçant ces dernières paroles, avait atteint la dernière limite de la puissance ; ces hommes qui, peu d’instants auparavant, voulaient sa mort, l’écoutaient, transportés d’admiration.
Il leur semblait que c’était enfin le prophète attendu qui venait de se manifester à eux.
— Vous, poursuivit-il, qui portez le costume sick et appartenez à cette race guerrière qui lutte encore les armes à la main et le visage découvert, remontez vers le Nord et dites à vos frères que ce sont eux qui allumeront l’incendie qui doit dévorer le pouvoir britannique.
« Vous autre, envoyés du Penjaub, soyez prêts à donner la main à ceux qui viendront à travers la Perse et les déserts pour tenter de renouveler les expéditions d’Alexandre et de Mahmoud.
« Vous, fils du Kuttack, retournez dans vos jungles impénétrables et sur votre côte inhospitalière d’Orissa, pour y renverser vos idoles hideuses et mettre fin à ces sacrifices sanglants, qui ne sont pour vos oppresseurs qu’une preuve de votre ignorance et un gage de votre lâcheté.
« Vous enfin, enfants du Népaul, de l’Oude et de ces contrées bénies qui sont le berceau de notre race, répandez-vous dans les campagnes et dans