Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/362

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— Ainsi, la voilà, se dit-il lorsqu’il fut plus calme ; la voilà cette association terrible dont je suis le maître, toujours avide de sang, ne reculant devant aucun attentat pour atteindre son but, sacrifiant aveuglément tout ce qu’elle rencontre sur sa route, armant ses instruments aveugles au nom des plus saintes causes et faisant des assassins de ceux qu’elle prétend sauver et rendre libres ! Héritage maudit qui m’a déjà fait meurtrier et qui me rend aujourd’hui le complice de ces infâmes ! Héritage de Satan, que mon père avait déjà repoussé et que la fatalité me met entre les mains aujourd’hui !

Il marchait à grands pas dans la tente, osant à peine arrêter ses regards indignés sur cette couche que Moura-Sing n’avait quittée que pour mourir.

— Eh bien, soit ! reprit-il en tendant la main vers le palanquin du prince, comme s’il eût voulu évoquer son ombre, soit ! mais je suis le Maître, je marcherai à mon but par la voie que je me suis tracée, et je te le jure, Moura-Sing, mon frère bien-aimé, tu seras vengé !

En disant ces mots, il avait frappé sur un gong.

Schubea accourut.

— Que tout soit prêt dans un instant pour le départ, lui dit-il.

— J’ai prévenu tes ordres, maître, répondit l’Hindou, les serviteurs n’ont plus qu’à plier cette tente ; dans cinq minutes nous pourrons nous éloigner.

En effet, quelques instants après, la caravane se remettait en route en abandonnant aux beras de Gaya le palanquin de la pauvre enfant.

Nadir n’avait pas voulu monter sur l’éléphant de Moura-Sing ; il avait repris son cheval et marchait seul au milieu de la petite troupe, n’échangeant avec Schubea que quelques paroles rapides pour lui donner ses ordres.

Le soir même, ils s’enfoncèrent dans le défilé de Kassy, et le surlendemain, au point du jour, ils aperçurent, se détachant sur le ciel gris, les minarets des mosquées de Bombay.

Nadir mit alors pied à terre, prit place, non sans un horrible serrement de cœur, dans le palanquin du prince, en laissa tomber les tentures, et la caravane reprit sa marche.

Au moment où, dirigée par Schubea, elle se déroulait sur la longue et étroite chaussée qui réunit l’île de Bombay à la terre ferme et se dirigeait vers un des somptueux hôtels bâtis sur le bord de la mer, la ville s’éveillait à peine, mais quoique le soleil ne dorât encore que les sommets des Gattes, les voix multiples de la population affairée se faisaient déjà entendre.

Des groupes de travailleurs hindous, malais, chinois, arabes, qui venaient des faubourgs, dépassaient les palanquins en courant, pour se rendre sur le port.

C’était surtout là et dans la rade que, malgré l’heure matinale, le mouvement et l’animation étaient extrêmes.