rant de la rue de Middlesex et suivre leur route à travers un brouillard tellement épais que les becs de gaz semblaient des nébuleuses tremblant dans l’espace.
Sauf quelques policemen qui éclairaient de loin en loin les carrefours avec des torches, le quartier était complètement désert.
Parvenus à l’angle de White-Chapel et de New-Cannon street, nos promeneurs nocturnes s’arrêtèrent un instant.
Onze heures venaient de sonner à Saint-Paul, ce géant de pierre qui veille sur la Cité.
— Déjà onze heures ! dit l’un des ouvriers. Tom, courons vite, Mary et ma mère doivent être mortellement inquiètes.
Celui qui parlait ainsi était un jeune et beau garçon bien pris dans sa taille moyenne.
Sa physionomie était expressive et franche, son œil bleu un peu rêveur, sa tenue soignée. Il faisait un contraste étrange avec ses compagnons.
Il se nommait James Davis, et, comme les trois autres ouvriers, était employé dans la manufacture de coton de M. William Berney, un des plus riches industriels de Londres.
Celui à qui il s’adressait, Tom Sanders, ne lui ressemblait en rien, et comme on les savait très-intimes, on se demandait quelle bizarre sympathie pouvait réunir ces deux êtres si différents de tournure et d’aspect.
Tom, en effet, était une espèce de taureau, aussi doux lorsqu’il était à jeun que terrible lorsqu’il avait quelques verres de gin dans la tête.
Sa force extraordinaire en avait fait la terreur de l’atelier, dont il était d’ailleurs un des plus habiles ouvriers.
Personne ne pouvait en avoir raison lorsqu’il était en colère, sauf James, à qui il obéissait toujours et partout avec la docilité d’un enfant.
C’était, du reste, au fond, un brave et honnête garçon, à l’intelligence assez bornée, et plaçant tout son amour-propre dans cette vigueur prodigieuse dont la nature l’avait doué.
Il était grand, gros, large d’épaules et, comme pour avoir un air plus sauvage encore, il laissait croître sa barbe, rouge ainsi que ses cheveux, ce qui lui donnait vraiment, dans certains moments, la physionomie brutale d’une bête fauve.
Quant aux deux autres personnages, ils se nommaient Welly et Cromfort.
Le premier, beau parleur, fier de son instruction ébauchée, avait été jadis caissier dans une grande maison de banque ; mais un jour qu’il en était sorti pour un recouvrement important, il oublia si bien le chemin de sa caisse que cet oubli le conduisit à Melbourne, c’est-à-dire à la déportation en Australie.