Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/43

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« — Jeh Kâli ! s’écria tout à coup le chef.

« C’était le signal !

« Aussi prompt que la pensée, mon mouchoir sacré s’enroula au cou du sahoukar. Je semblais doué d’une force surhumaine. Je le serrai fortement. Sans pouvoir prononcer un mot, pousser un cri, le marchand se débattit convulsivement pendant deux secondes peut-être, et tomba.

« Je ne le lâchai pas, je m’agenouillai sur lui et tordis le mouchoir au point de me faire mal au poignet. Mais cela était inutile. Kâli avait armé mon bras, le marchand ne bougeait plus : il était mort.

« Je desserrai alors mon mouchoir et me redressai en contemplant ce cadavre avec orgueil.

« Mes compagnons, au signal du chef, avaient instantanément immolé les hommes qui leur avaient été désignés.

« Quant à moi, tout entier à ma première victime, je n’avais rien vu, rien entendu.

« J’étais fou d’exaltation, mon sang était en feu dans mes veines. Je me sentais la force d’étrangler cent individus.

« L’accomplissement du sacrifice avait été si facile et si prompt !

« Il me semblait voir l’âme du sahoukar s’envoler, rayonnante et me bénissant, vers le séjour sacré d’Indra.

« Un tour de poignet venait de me rendre l’égal de ceux qui avaient exercé pendant des années entières. J’avais pris rang parmi mes frères, j’avais immolé la première victime. J’allais recevoir les félicitations de la troupe entière, de ceux-là même qui, un instant auparavant, me regardaient comme un enfant.

« Les mystères du Thugisme n’allaient plus rien avoir de caché pour moi.

« Je fus arraché à mon enthousiasme par la voix de Budrinath.

« — Vous avez bien commencé, me disait-il d’une voix douce et affectueuse, vous en recevrez la récompense sous peu. Maintenant, suivez-moi. Allons voir la fosse. Là sont rassemblés tous les corps. Le devoir d’un Jemadar est toujours, après le meurtre, de s’assurer si les cadavres sont convenablement disposés et ne peuvent être découverts. Cette affaire fera du bruit, et il nous faudra abandonner au plus vite la route que nous avons suivie jusqu’ici.

« Nous descendîmes dans le lit du ruisseau.

« Deux de nos hommes portaient le corps du sahoukar.

« Après avoir traversé le ruisseau et suivi la rive pendant quelques instants, nous arrivâmes à une source desséchée.

« Là, plusieurs Thugs étaient rassemblés.

« — Où est la fosse ? demanda Budrinath.