Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/443

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rayonnante ; son compère Abraham lui avait dit la veille qu’il pensait bien être sur le point de trouver son affaire.

C’était en l’attendant qu’il comptait et recomptait si amoureusement les livres sterling que depuis quarante ans il entassait les unes sur les autres, sans toutefois priver son intérieur de quoi que ce fût.

Pour lui-même et pour mistress Katers, il se contentait de peu, mais pour sa fille, rien n’était trop beau ni trop cher.

La jeune fille avait un appartement complet pour elle seule, une femme de chambre, un coupé et un cheval de selle. Rien enfin du luxe bien compris ne lui manquait.

Le brave père avait au moins la logique de sa sotte vanité. Il avait élevé sa fille pour ce qu’il désirait qu’elle devint un jour.

Il venait à peine de terminer sa brillante énumération, lorsqu’un employé monta le prévenir que Darton le demandait.

Il embrassa presque respectueusement Betsy et se hâta de descendre dans son bureau.

— Eh bien ! dit-il à l’Israélite, quoi de nouveau ?

— Que miss Katers sera baroness quand vous voudrez.

Le marchand de chiffons ne put retenir un mouvement de satisfaction : il ne se croyait réellement pas aussi près de la réalisation de ses rêves.

Il approcha son siège de celui d’Abraham.

— Et quel est le futur ? demanda-t-il en souriant.

— Un noble gentleman auquel j’ai rendu quelques services et qui a toute confiance en moi : le baronnet sir Arthur Maury, veuf en première noces de la fille unique du comte d’Esley ; un charmant cavalier, le meilleur homme du monde, pas encore trente ans.

On voit que maître Darton savait, à l’occasion, défendre ses amis.

— Il a des enfants ? hasarda Katers.

— Oui, trois, mais qui possèdent une fortune indépendante et vivent chez leur grand’père.

— Et le baronnet sir Arthur Maury ?

— Ah ! dame ! il n’est pas riche, au contraire. Vous comprenez, Katers, que…

— Oui, oui, je comprend ; ces grands seigneurs ! Heureusement que les millions du père Katers sont là. Vous savez, Darton, je donne à ma fille cent cinquante mille livre de dot.

— Elle sera baroness, ira à la cour, répondit l’usurier sans se laisser éblouir, à l’étonnement du marchand de chiffons, qui avait pensé que ce chiffre allait surprendre son visiteur.

Il ne savait pas que maître Abraham connaissait sa fortune tout aussi bien que lui-même.