Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/48

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« Tout ce que je sais, c’est que lorsque nous arrivâmes à la fin des degrés, il me fallut, pour suivre mon guide, marché courbé presque jusqu’à terre, puis descendre encore et ramper toujours.

« Une faible lueur, qui filtrait à travers les rochers, frappa soudain mes regards : une atmosphère tiède, chargée de parfums, un bruit confus que je ne pouvais définir, m’avertirent que nous étions arrivés.

« Budrinath m’arrêta. Nous étions au pied d’un bloc de granit, dans un caveau étroit qui me semblait ne pas avoir d’issue.

« — Votre cœur est-il toujours calme, enfant ? me dit-il. Êtes-vous préparé aux saints mystères ?

« — Je suis préparé, répondis-je d’une voix ferme.

« Aussitôt, comme par enchantement, le bloc de granit se déplaça, et je me trouvai sur le seuil d’une salle immense.

« Mes yeux restèrent éblouis du spectacle qui leur était offert.

« Au fond de cette salle, sur une estrade recouverte d’un drap blanc, se trouvaient neuf hommes, nus jusqu’à la ceinture et le reste du corps enveloppé de pagnes rouges. Leurs cheveux étaient retenus par des bandelettes de même couleur et leurs mains teintes de sang jusqu’aux poignets. Sur leurs fronts s’étendaient trois larges raies sanglantes et sur leurs bras, ainsi que sur leurs poitrines, toujours faits avec du sang, on voyait des dessins bizarres dont je ne connaissais pas encore la signification mystérieuse.

« Devant eux, sur un monceau de fleurs, était une pioche d’argent, autour de laquelle brûlaient des encens.

« Plus loin, en arrière de ce terrible tribunal, composé des neufs grands jemadars des bandes du Sud, se dressaient les statues de Schiba et de Kâli. Schiba, sous la forme d’un jeune homme noir, avec des vêtements et trois gros yeux rouges, ses cheveux hérissés, son ventre énorme et son cou orné d’un collier de crânes humains.

« Kâli, plus majestueuse, plus épouvantable encore.

« C’était bien là notre grande et toute-puissante déesse, ne se plaisant que dans le carnage et buvant le sang de ses ennemis.

« Elle avait quatre bras, tenait d’une main un glaive et de l’autre la tête d’un géant. Les deux autres, aux longs doigts crochus et crispés, semblaient attendre les victimes. Deux cadavres étaient suspendus à ses oreilles en guise d’ornements. Un large collier de chairs pantelantes descendait sur sa poitrine ; sa langue tombait jusqu’à son menton.

« Ses cheveux rouges, au milieu desquels serpentait des vipères naja, se déroulaient jusqu'à terre, et elle portait à ses chevilles des bracelets composés de mains de géants qu’on eût dites fraîchement coupées, car le sang ruisselait sur ses pieds, qui s’appuyaient sur des corps mutilés de femmes et d’enfants.