Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/550

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Le lendemain matin, en effet, la caravane était prête, et avant le lever du soleil, elle se mettait en route.

Ada avait pris place dans un élégant et vaste palanquin porté par six beras (porteurs), auprès desquels couraient six autres porteurs de rechange ; Nadir et Harris montaient d’excellents chevaux ; Yago et Tom étaient hissés sur un éléphant, genre de locomotion qui ne laissait pas que de surprendre l’ancien amoureux de Mary.

Sur un second éléphant étaient les provisions de la petite caravane et les objets de campement, car, sauf Candy, les voyageurs ne devaient trouver sur leur route aucune autre ville importante.

La première journée de marche se passa sans nul incident. Ada, dans l’ignorance où elle était du motif de ce voyage, se montrait plus gaie que ses compagnons ne l’avaient vue depuis longtemps, et le lendemain soir, lorsque les touristes arrivèrent dans la capitale de l’île, ils y trouvèrent un logement tout prêt pour les recevoir.

La jeune femme aurait bien voulu profiter de son passage à Candy pour en visiter les curieuses pagodes souterraines et ce temple où des brahmines conservent comme une précieuse relique une dent d’Hanouman, le général des singes qui aidèrent le dieu Rama à faire la conquête de l’île, mais son mari lui promit de satisfaire sa curiosité à leur retour de Trinquemale, et le jour suivant la petite troupe se remit en route.

Elle en était à sa deuxième journée de marche et avait campé sous un bosquet d’aloès sur les bords du Misséri-Gange, lorsque tout à coup, au moment où les voyageurs entraient dans un jungle épais que traversait la chaussée, leurs chevaux hennirent en se cabrant et les éléphants dressèrent leurs trompes en poussant un mugissement de terreur.

Nadir, qui était sur un des éléphants, comprit aussitôt qu’un danger s’approchait, mais il n’eut pas une seconde pour donner des ordres, car, s’élançant d’un fourré, un énorme tigre bondit dans la direction du palanquin de miss Ada.

À l’apparition du roi des jungles, le cheval d’Harris avait fait un tel bond de côté que son cavalier n’avait eu que le temps de se laisser glisser à terre, et le fauve, se précipitant sur la pauvre bête, la déchirait de ses ongles et de ses dents.

Ce n’était là qu’un instant de répit : les porteurs du palanquin l’avaient laissé glisser de leurs épaules, et le tigre, attiré par les cris de la jeune femme, allait s’élancer vers elle.

Nadir avait armé sa carabine, mais le terrible ennemi se trouvait placé justement entre lui et Ada. Il ne présentait ainsi à ses coups que les parties de son corps les moins vulnérables ; de plus, s’il manquait le tigre, l’Hindou pouvait frapper celle qu’il aimait.