Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/64

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« Comme s’il se fût douté que quelque chose se tramait à son sujet, le Thug semblait inquiet et indécis.

« Il allait d’un arbre à l’autre, se baissait pour mieux voir, puis il se haussait sur les troncs de bambous.

« Au moment où l’Hindou passait à sa portée, Swift, qui s’était rappelé son ancien métier de matelot et s’était couché sur sa branche ainsi qu’il l’eût fait sur une vergue de hune, étendit les bras, comme s’il eût voulu soulever la ralingue d’une voile, et saisissant de ses poignets de fer le misérable par le cou, il l’enleva de terre sans qu’il eût eu le temps de pousser un cri.

« Les branches plièrent sous le poids nouveau qu’elles supportaient. La strangulation avait été si prompte, si complète que lorsque Swift nous rejoignit, il ne portait plus qu’un cadavre.

« Pendant ce temps-là la réunion des Étrangleurs avait pris une physionomie nouvelle.

« Hyder-Ali et quatre autres chefs de bandes s’étaient placés sur un grand drap blanc étendu sur le sol. Autour de ces maîtres, s’étaient groupés le gooroo et les principaux Étrangleurs des bandes réunies.

« À quelques pas d’eux était une seconde pièce d’étoffe blanche, sur laquelle des Thugs, complètement nus, avaient disposé, avec les signes du plus profond respect, les pioches sacrées.

« Soudain, un cri horrible, déchirant, traversa l’espace et se répercuté dans les profondeurs des forêts.

« L’assemblée tout entière y répondit par un hourrah de joie et de triomphe.

« — Ô Kâly, Kur Kâly, Burn Kâly ; ô Kâly, Maha Kâly, Calcutta Kâly, sois bénie ! dit à haute voix Hyder-Ali, en secouant ses longs cheveux flottants, sois bénie ! et que ta volonté soit faite !

« Et tous les Thugs, en imitant le maître, répétèrent ensemble par quatre fois :

« — Ô Kâly, Kur Kâly, Burn Kâly ; ô Kâly, Maha Kâly, Calcutta Kâly, sois bénie, et que ta volonté soit faite !

« De nouveaux aliments furent alors jetés sur les feux allumés, dont les flammes éclairèrent bientôt de leurs brusques lueurs tous les acteurs de cette scène, et le plus fantastique des défilés commença.

« Chaque Thug, nu jusqu’à la ceinture, les cheveux flottants, le front sillonné des trois raies horizontales de sang et le mouchoir blanc à la main, s’approchait à son tour du groupe formé par les chefs.

« Là, après avoir baisé les pieds du gooroo de la bande à laquelle il appartenait et avoir juré, au nom de la déesse, qu’il disait la vérité, il déclarait avec orgueil le chiffre de ses victimes, non-seulement depuis la dernière assemblée, mais depuis son initiation.