Page:René de Pont-Jest - Le Procès des Thugs.djvu/88

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vous égariez l’esprit. Ici, vous avez affaire à des hommes et à la justice. C’est d’après vos ordres qu’a été brûlée à Rani une malheureuse veuve d’un marchand de Tritchinapaly ; vous l’avez avoué au capitaine Reynolds. C’est également par vos ordres que devait être sacrifiée lady Buttler.

« Depuis combien de temps êtes-vous le gooroo de cette bande ?

— Depuis plus de vingt ans.

— Et depuis près de vingt ans vous ordonnez froidement le meurtre. C’est à croire, vraiment, que nous ne faisons ici qu’un épouvantable rêve. Cette femme que vos hommes repoussèrent à trois reprises différentes dans les flammes, vous n’avez eu pitié ni de ses larmes, ni de sa jeunesse, ni de sa beauté. Vous chantiez au contraire pour étouffer les cris de la malheureuse. Un de vos complices dit que vos mains étaient teintes de sang, ainsi que votre front.

— Une libation de sang, dans les formes prescrites par les livres saints, est pour la déesse le plus doux des nectars. Les pouranas nous disent : Gardez-vous d’offrir de la chair de mauvaise qualité. La victime doit être jeune, belle, préparée par des jeûnes et des ablutions pour le saint sacrifice, et ornée de guirlandes de fleurs. Au moment de la mettre à mort, le sacrificateur s’écriera : Kâly, déesse armée de terribles défenses, dévore ! tue ! détruis les méchants ! Attache la victime à l’autel ! saisis-la ! saisis-la, bois son sang ! sauve-nous ! sauve-nous ! Salut à Kâly !

L’infâme avait prononcé ces mots avec une exaltation croissante.

— Assez ! assez ! interrompit le président, car si votre chef nous a inspiré de l’horreur, vous nous inspirez, nous, du dégoût. L’heure de la justice est arrivé, nous verrons si votre puissante déesse vous viendra en aide.

Le vieux gooroo, ses deux bras amaigris et tremblants étendus vers Feringhea, prononça dans la langue des Thugs quelques mots d’imprécations que le jemadar accueillit avec un sourire de mépris et sans baisser les yeux.

Malgré les ordres les plus sévères, l’auditoire n’avait pu retenir son indignation. Il ne redevint calme qu’en entendant le président appeler à la barre plusieurs accusés à la fois.

C’était le plus monstrueux des défilés qui commençait.

Pendant cinq heures, ces monstres à face humaine se succédèrent devant le tribunal, avouant faire partie de la bande d’Hyder-Ali et ne craignant pas de se glorifier de leurs crimes.

— Moi, dit l’un, j’ai courbé le front pendant deux années comme un bon et loyal serviteur, dans une maison où l’hospitalité m’avait été offerte, puis le moment est venu enfin et, dans le jardin que j’arrosais chaque jour, repose maintenant le père et la mère, les enfants et les serviteurs. Je n’ai