Page:René de Pont-Jest - Le Serment d’Éva.djvu/246

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Ce fut pendant toute une semaine les mêmes combats, dont Ronçay ne sortait jamais vainqueur. Il avait beau appeler à son aide tous les arguments que lui suggérait sa tendresse, Mlle de Tiessant y répondait par ceux que lui fournissait son orgueil, et elle demeurait la plus forte. Enfin, un jour il lui dit :

— Il est encore autre chose à quoi tu n’as pas songé, c’est à la jalousie qui me torturera lorsque tu seras au théâtre. Alors tu ne m’appartiendras plus tout entière. Chacun aura le droit de t’admirer, de t’aimer, et en quelque sorte de te le dire par ses regards et ses applaudissements. Ta beauté ne sera plus à moi seul, elle sera un peu à tous et, dans l’enivrement du succès, tu m’oublierais souvent. C’est fatal, cela ! Pour la comédienne, même quand elle est la plus honnête des femmes, il y a de longs instants où tout disparaît devant l’amant impérieux de qui elle est l’esclave servile : le public ! Ah ! celui-là, comme il me chassera de ton cœur !

— Oh ! quel blasphème, Gilbert ! répondit Éva avec une sorte de désespoir passionné. Tu sais bien que rien ne pourra jamais se glisser dans ce cœur si plein de toi que les absents et les morts n’y ont même plus de place. Mais si tu devais conserver cette pensée, je renoncerais à toutes mes ambitions, si honteusement que dût se traîner mon existence inutile. Tu n’as qu’un ordre à donner : je resterai ta chose, ton bien, la femme que tu aimes, qui t’adore, mais aussi pour tous et pour moi-même, la fille que tu entret…