Page:René de Pont-Jest - Sang-Maudit.djvu/173

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En s’exprimant ainsi, Françoise avait le geste si menaçant que Manouret ne songea plus qu’à s’esquiver.

— Non, tu ne sortiras pas, reprit sa femme, en s’appuyant contre la porte. Qu’est-ce que tu voulais donc dire, tout à l’heure, en prétendant que tu en sais encore bien d’autres ?

— Moi, rien ! bégaya le triste personnage.

— Tu mens !

— Non, je t’assure. Qu’est-ce que tu veux que je sache de plus ?

— Alors file et va travailler, si tu en es capable dans l’état où tu es !

Claude ne se le fit pas répéter et, retrouvant à peu près son équilibre, il disparut comme par enchantement, mais en se promettant de se venger.

Françoise le suivit quelques instants des yeux, en murmurant :

— En voilà encore un qui finira mal ; je le surveillerai. Heureusement qu’il ignore que Jeanne est mariée. En tout cas, il faut la prévenir. On ne sait pas ce qui peut arriver.

La Manouret, qui n’était certes pas une femme honnête, cédait, en agissant ainsi, à un sentiment tout à la fois d’orgueil et de reconnaissance envers sa sœur.

Elle l’aimait peu, mais elle en était fière. Il lui plaisait de se dire que Rose, sa sœur, comme elle, fille d’un forçat, portait un nom honorable, et elle ne voulait pas qu’on arrêtât dans sa course cet astre dont l’éclat l’émerveillait.

De plus, elle était fatiguée de cet homme que le séjour de Paris avait complètement perdu. Depuis plus d’un an déjà, elle songeait à le quitter et comptait sur Jeanne pour l’aider à reprendre sa liberté.

Toucher à elle, c’était toucher à elle-même. Son intérêt était donc de la défendre.

Aussi s’empressa-t-elle de lui écrire qu’elle avait des choses importantes à lui communiquer.

Cette lettre troubla Mme  de Ferney beaucoup plus qu’elle ne l’aurait fait quelques semaines auparavant. Cela s’explique. Dans sa situation présente elle n’avait plus rien à espérer, mais tout à craindre.

Or, comme tous les gens qui ont atteint difficilement un but, surtout ceux qui y sont parvenus par de mauvais moyens, elle avait peur de perdre en un seul jour le fruit de sa victoire si chèrement acquise.

Était-ce dans des amours ou dans sa position sociale qu’elle était menacée ?

Impatiente de sortir de cette incertitude, elle donna rendez-vous à sa sœur pour le jour suivant, à deux heures, à l’angle de la rue du Rocher, et le lendemain elle fit arrêter, à l’endroit et à l’heure convenus, la voiture de place qu’elle avait prise sur la voie publique.

Françoise, qui l’attendait, monta auprès d’elle. Le cocher enfila le boulevard