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XI

Cœur brisé !



Pendant que son hôtel était le théâtre des événements terribles que nous venons de raconter, M. de Ferney se rendait à Reims.

L’examen des ravages que l’inondation avait faits dans les grandes propriétés qu’il possédait entre Amiens et Douai lui avait prouvé qu’il n’échapperait désormais à de semblables désastres qu’en faisant exécuter des travaux d’endiguement qu’il projetait depuis déjà longtemps ; mais comme ces travaux n’étaient possibles que d’accord avec les propriétaires des terres voisines des siennes, et que ces terres appartenaient à des mineurs dont le notaire habitait Reims, il s’était décidé à ne pas remettre l’entrevue qu’il voulait avoir avec cet officier ministériel.

Il comptait l’amener aisément, à partager ses vues et à entreprendre de moitié avec lui, dans l’intérêt même de ceux qu’il représentait, ces améliorations indispensables.

Ce notaire, Me Destables, était un brave homme, véritable type du tabellion de province, gérant les biens de ses clients avec autant de sollicitude que s’ils eussent été à lui, un peu loquace peut-être, mais digne en tous points de la considération dont il jouissait.

Arrivé à Reims par le train du matin, M. de Ferney demanda immédiatement un rendez-vous au notaire, qui se hâta de lui répondre qu’il se tiendrait à ses ordres, le jour même, toute l’après-midi.

À deux heures, le mari de Jeanne se rendit à l’étude. Le premier clerc, prévenu de sa visite, le fit entrer dans le cabinet de son patron, où il le laissa seul, en lui disant qu’il allait faire appeler Me Destables.

En l’attendant, le magistrat examina naturellement la pièce où il se trouvait, et ses yeux furent alors attirés par une toile qui, placée bien en évidence, semblait un peu dépaysée au milieu des cartons et des dossiers.

Ce tableau représentait les lagunes de Venise avec le palais des Doges et le lion de Saint-Marc perdus dans la brume.

Ce n’était pas un chef-d’œuvre, mais l’artiste qui avait peint ce tableau était certainement un poète et un coloriste.

M. de Ferney voulut en connaître le nom, et il eut un mouvement de surprise joyeuse en lisant dans un des angles de la toile : Petrus.

Le peintre était justement son jeune ami de Paris, et il se demandait comment une de ses œuvres, encore si rares, se trouvait à Reims, lorsqu’il se rappela que